Eric Denécé au JI : « La Russie et l’Algérie, mesurent pleinement la duplicité des Occidentaux, qui soutiennent des groupes takfiris »

C’est à l’occasion de la visite qu’effectuera le 29 février 2016 le ministre russe des Affaires étrangères en Algérie que le directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), Eric Denécé, confie au « Jeune Indépendant » ses impressions, son analyse et les objectifs de cette visite. Ecoutons-le.
Le Jeune Indépendant : Le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, est attendu en Algérie le 29 février. Dans quel cadre s’inscrit cette visite ?
Eric Denécé : La situation au Moyen-Orient est extrêmement tendue, en raison des attitudes hautement belliqueuses et irresponsables de la Turquie et de l’Arabie saoudite, que les Etats-Unis ne semblent vouloir ou pouvoir raisonner. En l’état actuel des choses, Ankara et Moscou sont sur une trajectoire de collision si rien n’est fait pour calmer le jeu. La diplomatie russe, sous l’impulsion de S. Lavrov est très réaliste et entreprend de nombreuses démarches pour expliquer la situation et prévenir des conséquences déplorables qu’elle pourrait avoir. Rappelons que Moscou est intervenue légalement en Syrie, à la demande officielle du gouvernement légal de Bachar El-Assad, que cela plaise ou non. En revanche, la Turquie, en bombardant des unités kurdes dans le nord de la Syrie, s’est livrée à une véritable agression. Aujourd’hui, la trêve décrétée en Syrie est très fragile et les Turcs comme les Saoudiens continuent à jeter de l’huile sur le feu. Si tout le monde mesure la mégalomanie croissante d’Erdogan, c’est plus surprenant pour l’Arabie saoudite dont l’action militaire au Yémen est un échec flagrant… Ryad semble entrer à son tour dans une logique de fuite en avant irrationnelle qui ne présage rien de bon.
L’Algérie est sceptique quant à une nouvelle ingérence militaire étrangère en Libye. Qu’en est-il pour la Russie ?
En ce qui concerne la Libye, c’est un dossier que l’Algérie connaît bien. Je crois que pour le moment les experts ont perçu que le pays était ingérable et qu’une intervention ne résoudrait rien, sauf à engager des moyens énormes, ce que personne ne veut. La Tunisie se déclare également opposée à une intervention car elle craint que cela n’accroisse l’attractive des groupes djihadistes chez les jeunes….
Moscou mesure pleinement le danger local représenté par Daech, mais reste extrêmement méfiante à l’égard des intentions des Occidentaux qui l’ont déjà bernée dans ce pays lors de l’intervention de 2011 contre Kadhafi. Poutine a d’ailleurs été scandalisé par le sort réservé au guide libyen. Je ne doute pas que Serguei Lavrov vienne recueillir l’avis de son allié algérien qui est directement frontalier de la Libye en crise, afin d’avoir une meilleure vue de la situation et d’arrêter une position commune.
L’Algérie et la Russie prônent-elles la même politique sur le dossier syrien ?
Oui, Moscou et Alger font la même analyse quant au caractère soi-disant « spontané » et « populaire » des printemps arabes. Dans le cas syrien, les deux capitales considèrent que le régime de Damas, même s’il n’est pas parfait, reste le gouvernement officiel du pays et donc que l’acharnement déployé par ses adversaires (pays occidentaux, monarchies du Golfe persique) est illégitime. La Russie et l’Algérie, qui ont lutté et continuent de lutter contre le terrorisme sur leur sol, mesurent pleinement la duplicité des Occidentaux, qui soutiennent des groupes takfiris dans ce conflit, et des pays du Golfe qui ont permis l’apparition et le développement de Daech. En Syrie, l’aviation russe cible en premier lieu ceux qui cherchent à renverser le régime et qui maltraitent les populations locales, notamment les minorités. Mais si Daech n’est pas, dans cette perspective, leur cible principale, le groupe djihadiste n’est pas pour autant épargné car il intègre dans ses rangs de nombreux Tchétchènes radicaux décidés à frapper en Russie.
Quelle coopération pour l’Algérie et la Russie pour les grands dossiers internationaux ?
Les deux pays ont un rôle essentiel à jouer pour essayer de ramener les autres acteurs à la raison. Les Etats-Unis, parce qu’ils sont en année électorale, semblent moins s’investir politiquement dans le règlement des conflits régionaux. De plus, leurs propres alliés leur font moins confiance (Turquie, Arabie saoudite, mais aussi Israël). Les Européens sont « à la remorque de Washington » et n’ont qu’une influence très limitée. Tout doit être fait pour éviter un embrasement régional aux conséquences funestes.
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