Enseignants et étudiants renouent avec la protesta
Le 19 mars 1962 est une date qui a marqué un virage crucial dans l’histoire de l’Algérie. Il s’agit de la signature des accords d’Évian entre l’Algérie et la France et de la déclaration du cessez-le-feu. Depuis des années, il était d’usage de célébrer cette date en assistant à des manifestations « folkloriques » organisées par les pouvoirs publics pour fêter la Victoire !
Mais le 19 mars 2019, l’université algérienne a décidé de fêter l’événement autrement en s’inscrivant dans le sillage de la mobilisation massive du peuple revendiquant, depuis le 22 février et sans cesse, le départ du système en place.
Des milliers d’étudiants se sont rassemblés hier à l’esplanade de la Grande Poste (Alger) pour réitérer pour la énième fois leur refus de toutes les propositions annoncées, que ce soit par le Premier ministre Noureddine Bedoui ou dans des lettres du président de la République. « Les étudiants relevant de toutes les facultés du campus universitaire d’Alger se sont donné rendez-vous en cette date historique pour poursuivre les protestations de manière pacifique », nous indique A.C., doctorant en sciences politiques à l’université d’Alger 3. « Nous observons ce rassemblement sous le slogan « Manifestation de la victoire’’, ajoute-t-il.
Selon ce manifestant, le mouvement citoyen commence à s’organiser au sein des campus dans la mesure où chaque faculté veut apporter sa touche en se mobilisant autour de l’ensemble des revendications, en commençant par le départ du système jusqu’au changement radical à tous les niveaux. « Il faut dire que l’intransigeance du pouvoir provoque un climat de tension et le seuil des revendications augmente au fil des semaines », précise notre interlocuteur.
Par ailleurs, pour Mohamed Chelagha, étudiant à l’Ecole nationale supérieure de journalisme et des sciences de l’information, « toutes les manœuvress entreprises par le pouvoir, qui continue à s’accrocher aux rênes, sont inacceptables ». « Nous refusons toutes les violations flagrantes de la Constitution en annulant l’élection présidentielle et d’autres textes de loi régissant la relation gouvernés et gouvernants », dénonce Mohamed. Ajoutant que « la rupture avec l’ancien ordre politique est la seule solution pour mettre le holà à cette machine dévastatrice ».
A cette occasion, plusieurs universités ont vu l’organisation de diverses activités culturelles et intellectuelles pour signifier qu’il n’est pas seulement de quitter les bancs pour sortir manifester, mais de renouer avec le vrai rôle de l’université qui est d’instruire et de former, explique ce doctorant en relations stratégiques.
Ainsi, l’élite issue de l’enceinte universitaire recouvre la place qui lui sied et essaie contre vents et marées de contribuer à aboutir à une solution. A ce propos, Louiza Aït Hamadouche, enseignante à l’université d’Alger 3, éclaire que ce qui se passe aujourd’hui traduit le retour en force de l’université sur la scène sociale et politique. Précisant que l’université a été marginalisée et mise à l’écart de tous les débats en rapport avec les grandes questions susceptibles d’intéresser le citoyen algérien. Et d’enchaîner : « Cette mobilisation, englobant enseignants et étudiants, n’est qu’un retour au cours naturel des choses ». L’universitaire, rencontrée sur place, considère que l’implication de cette catégorie sociale est incontournable et qu’il est inconcevable de parler d’un changement radical au niveau du système politique en faisant abstraction de l’élite.
« Les enseignants et les étudiants sont censés apporter des éclairages et des explications sur la situation qui règne dans le pays et non proposer des projets politiques », fait-elle observer. Ecartant la thèse qualifiant cette situation de « problème » nécessitant une solution, l’universitaire relève qu’il incombe à l’élite de présenter les instruments auxquels on pourrait recourir en ce moment, ainsi que les pistes envisageables pour une éventuelle issue. « Une telle démarche permettra la véritable transition démocratique garantissant les soubassements de la nouvelle république », analyse-t-elle.
Certes, la mobilisation se fait d’arrache-pied au sein des campus, mais il convient de signaler aussi que nous sommes dans une situation d’urgence et qu’il va falloir passer à l’étape suivante. Celle de trouver des représentants des différentes sensibilités et couleurs politiques pour se mettre à la table des négociations et ouvrir un dialogue franc et fructueux.