Enième cassandre de Rabat
Le roi du Maroc est-il sincère quand il tend la main à l’Algérie et appelle de tous ses vœux à une profonde refondation des liens
de voisinage et de solidarité ?
Dans son discours prononcé avant-hier à l’occasion du 63e anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple, le souverain marocain a indiqué que son pays « aspire au renouvellement de cet engagement et de cette solidarité sincère » qui unit depuis toujours les peuples algérien et marocain.
Jouant sur la corde sensible, Mohamed VI, qui a tenu a rappeler « la coordination et la solidarité » entre les chefs de la Résistance marocaine et le Front de libération nationale (FLN), a relevé qu’il y a « besoin plus que jamais de cet esprit de solidarité pour pouvoir relever les défis communs en matière de développement et de sécurité », tout en rappelant qu’à l’époque de la lutte pour la libération (1954-1962), il a été convenu de faire du deuxième anniversaire de la Révolution du 20 août l’occasion d’étendre la révolution à tous les pays maghrébins », ce qui a donné lieu à des soulèvements populaires dans les différentes régions du Maroc et de l’Algérie.
Plus direct et plus explicite, Mohamed VI a souligné que la Résistance marocaine a « apporté son soutien matériel et moral à la Révolution algérienne », en butte à une campagne violente engagée à son encontre par les forces coloniales. Pour le souverain marocain, « ce soulèvement et cette solidarité » ont contribué à redonner vie à la Révolution algérienne, notant que les deux pays « ont joué un rôle majeur dans la libération et l’indépendance de l’Afrique ».
S’il est difficile de décrypter les subtilités du langage diplomatique, il est par contre facile de deviner que derrière ce soudain et vif intérêt du roi à promouvoir les relations bilatérales se cache en réalité un désir de se rapprocher d’Alger et de conclure une « trêve diplomatique » au vu des énormes difficultés que rencontre le Maroc tant sur la question sahraouie et son désir de retourner dans le giron africain, que sur un plan interne ou sa cohabitation avec un Premier ministre issu de la mouvance islamiste n’est plus au beau fixe.
A cela il faudra ajouter les piètres performances de l’économe marocaine et une hausse brutale du chômage qui avoisinerait les 20%. La récente mésaventure de la délégation dépêchée à Kigali a fini par faire comprendre au roi que le poids et le rôle de l’Algérie au sein de l’Afrique est toujours efficace et mieux encore, elle demeure aux cotés de l’Afrique du Sud et du Nigeria l’une des locomotives de l’UA. Mais force est de constater que la délégation marocaine envoyée à Kigali a dû mesurer la difficulté de l’exécution de son plan d’infiltration.
Enfin la question du terrorisme occupe une place importante au Maroc, confronté depuis peu à une montée en puissance des réseaux de Daesh qui ne cache plus son envie de s’attaquer à ce pays. Aussi, une coopération sécuritaire avec son voisin de l’Est qui possède une longue expérience de la traque et de la recherche des éléments des groupes terroristes dans le pourtour méditerranéen et dans la bande du Sahel est plus que souhaitable.
Quel sens donner à ce soudain rapprochement ?
Mais alors, quel sens donner à ce revirement qui pourrait être lourd de conséquences pour l’avenir des deux pays et affecter le processus de prise en charge de l’épineux dossier du Sahara occidental ?
Un réel rapprochement, plus discret, est semble-t-il amorcé des deux côtés. Le président Bouteflika a aussi adressé un courrier au roi du Maroc dans lequel il lui rappelle l’histoire de la lutte des deux pays contre le colonisateur français.
Et de lui réitérer une fois de plus sa détermination « à œuvrer de concert au raffermissement des liens de fraternité et de solidarité entre nos deux peuples frères au mieux de leurs aspirations au progrès et à la prospérité ».
Cet échange épistolaire, bien que plus normal, n’a de sens que si les deux dirigeants s’abstiennent de toute surenchère qui gagerait ainsi l’avenir des deux pays. Mais cette fois-ci, le ton et les mots employés par le roi du Maroc à l’égard de l’Algérie paraissent plus apaisés, plus conciliants, voire plus « accrocheurs » que ceux d’autrefois où il s’en prenait frontalement aux dirigeants du pays.
Le message du roi est porteur d’un certain nombre de paramètres qui permettent de saisir les contours de cette soudaine volte-face.
D’une part, le souverain marocain ne veut pas se mettre à dos un pays considéré à juste titre comme un pays pivot de la région, et d’autre part, il tente de gagner du temps car la politique de la « tension permanente » n’est plus à son avantage.
Aussi il est aisé de comprendre les motifs de ce revirement à l’égard de l’Algérie et, par extension, à l’égard de l’UA où il veut donner l’image d’un souverain respectueux de la légalité internationale.
Pour ce qui est de l’Union africaine, rappelons que Rabat refuse de lui reconnaître comme pour l’OUA depuis 1984, une quelconque légitimité d’action ou capacité à contribuer au règlement d’un problème de colonisation. Il y a lieu de mentionner la réaction des autorités marocaines à la nomination, par le 23e sommet de l’UA, d’un envoyé spécial africain sur le Sahara occidental en la personne de l’ex-président mozambicain, Joaquim Chissano.
Un autre élément et non des moindres est le changement prochain à la tête de la Commission africaine, prévu durant le sommet de janvier 2017 à Addis-Abeba, en Ethiopie. En effet, l’actuelle présidente de la Commission, la sud-africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, ne se représente pas à sa propre succession.
Ce report pourrait constituer un tournant défavorable à la RASD avec le rajout prévu de la candidature du Sénégalais Abdoulaye Bathily. Si ce dernier est élu, la cause sahraouie pourrait subir les conséquences de l’actuel alignement de Dakar sur les thèses de Rabat.
Ce qui présage d’une intense activité diplomatique pour ne pas dire une « guerre » politico-diplomatique dans les mois qui nous séparent du prochain sommet de l’Union. Et là le jeu du Maroc semble se dessiner clairement : Contracter une trêve diplomatique avec l’Algérie et pendant ce temps, réactiver en douceur ses réseaux africains pour bien négocier son entrée au sein de l’UA.