Le « Los Angeles Times » secoué par une grève historique
Illustration de son aura et de sa place de poids dans l’histoire de la presse, son nom rebondit au gré des chapitres des monographies et des livres dédiés à la vie des médias. De promotion en promotion, les étudiants en journalisme l’ont rencontré, certains à l’épreuve d’un exposé en ‘’TD’’, d’autres à l’autre d’aborder les grands canards de l’histoire ou l’économie de la presse.
Le « Los Angeles Times » — c’est de lui qu’il s’agit — vient de connaître la première secousse existentielle de son histoire. Référencé au rang des doyens de la presse écrite quotidienne — il est né en 1881 sur fond de grande fécondité médiatique —, le plus emblématique des médias de la Californie a été paralysée, vendredi 19 janvier, par la première grève de son existence.
Un coup dur pour ce titre qui émarge au palmarès des distinctions internationales avec pas moins de 51 Pulitzer, le plus prestigieux des prix octroyés aux médias.
Les salariés — journalistes et employés des autres services — ont débrayé, poussé en cela pas un nouveau plan social sept mois après une première coupe qui a allégé la rédaction de 70 postes. À l’image de nombre de journaux aux quatre coins du monde, le « Los Angeles Times » a vécu une année 2023 marquée par la récession.
En dépit d’un lectorat assez substantiel au regard des indicateurs internationaux (500.000 abonnés numériques et des abonnées au journal papier), la trésorerie du premier quotidien de la côte ouest a enregistré une perte estimée entre 30 et 40 millions de dollars.
Le média californien a été repris en 2018 par le milliardaire sud-africain Patrick Soon-Shiong, un investisseur dans le domaine de la biotech. Le nouveau propriétaire, dont la fortune est estimée à plus de 7 milliards de dollars par le magazine « Forbes », s’est offert le titre moyennant un chèque de 500 millions de dollars.
« Etre racheté par un milliardaire ne suffit pas. C’est l’amère expérience vécue par le Los Angeles Times, aux prises avec une perte de ses recettes et une érosion de ses ventes », observe, les yeux fixés sur les chiffres commerciaux, le correspondant du Monde aux États-Unis.
Source d’angoisse supplémentaire pour Patrick Soon-Shiong, la grève intervient dans un contexte pesant marqué par une succession de mauvaises nouvelles pour le journal.
Le « Los Angeles Times » a entamé l’année 2024 en assistant, ébahi, à la démission de son directeur de la rédaction. Professionnel au talent reconnu venu de la presse sportive (ESPN), Kevin Merida a rendu son tablier sous les effets conjugués de résultats jugés ‘’decevants’’, de conflit éditorial avec une partie de la rédaction et, facteur aggravant pour le climat de travail, la non concrétisation d’un accord salarial avec le syndicat de la presse malgré des discussions vieilles d’un an.
Avant cette grève, une partie de la rédaction était déjà en arrêt de travail forcé. En novembre dernier, une trentaine de journalistes ont manifesté leur mécontentent de la couverture de la guerre de Gaza par leur journal.
Selon le récit du correspondant du Monde, ces journalistes ont signé une pétition pour mettre la pression sur la direction et appelant non sans insistance à ‘’l’intégrité dans la couverture médiatique occidentale des atrocités commises par Israël contre les Palestiniens’’. Le directeur de la rédaction démissionnaire leur a interdit de couvrir le conflit pour trois mois, précise le correspondant du Monde.
La spectaculaire grève du « Los Angeles Times » à laquelle ont participé 90% des employés est venue abonder dans le sens d’une récente mise en garde académique avec des accents de sonnette d’alarme.
La presse écrite américaine est « en difficulté » et « son extinction s’accélère », selon le rapport annuel de l’école de journalisme de la Northwestern University, l’une des plus prestigieux campus privés. Le correspondant du Monde, qui en a lu la teneur, parle de plus de 130 journaux fermés ou absorbés dans des restructurations en 2023.
Un chiffre énorme qui pointe tout simplement la fermeture d’une moyenne de 2,5 titres de presse par semaine. Cette récession fait dire à la Northwestern University que la presse écrite subit aux États-Unis une véritable ‘’hécatombe’’.