Dr Mohamed Laifa, diabétologue : « La discipline minimise les risques sur la santé du diabétique »

L’impact du jeûne sur le diabète pendant le ramadhan nécessite de la discipline et de la préparation, ainsi que d’être prêt à rompre le jeûne si nécessaire. Dans cet entretien accordé au Jeune Indépendant, le Dr Mohamed Laifa évoque les risques liés au jeûne en cas de diabète et donc les précautions qui doivent être prises afin d’éviter les risques encourus pour la santé, notamment l’hypoglycémie.
Le Jeune Indépendant : Chaque année et à chaque mois de ramadhan, au cours duquel les fidèles s’abstiennent de manger et de boire, le cas épineux des malades chroniques refait surface. Qu’en est-il des diabétiques ?
Dr Mohamed Laifa : Effectivement, pour les porteurs de maladies chroniques en général, le ramadhan est une période extraordinaire pour les personnes en âge de jeûner. Mais pour toute cette catégorie de personnes atteintes de maladies chroniques, leur situation métabolique ou physiologique reste quelque peu fragile par rapport à cette épreuve. Cela ne veut toutefois pas dire que c’est une épreuve difficile, voire impossible pour eux. Au contraire, pour certaines maladies chroniques, et lorsque ces dernières sont très bien équilibrées, que ce soit l’hypertension, le diabète ou autres, le jeûne, observé d’une manière correcte et surveillé, peut être très bénéfique pour leur santé et leur procurer un équilibre parfait.
Néanmoins, la décision de jeûner doit être prise avec l’accord du médecin car certains détails peuvent ne pas être visibles pour le patient alors qu’ils sont capitaux pour le médecin du fait de l’évolution de la maladie, surtout après le ramadhan, d’où l’intérêt d’être accompagné par son médecin traitant pour la décision de jeûner ou pas, et ensuite pour savoir comment jeûner et comment prendre ces médicaments au cours de ce jeûne.
Pourquoi est-il conseillé aux personnes atteintes de diabète qui ont décidé de jeûner d’en parler avec leur médecin ?
Le diabète est une maladie chronique et évolutive. Elle avance en général silencieusement. Parfois, il n’y a pas de signes visibles ou du moins perceptibles par les patients. Le médecin, au cours des différents contrôles, peut remarquer certains dysfonctionnements qui seront corrigés régulièrement par des ajustements thérapeutiques, en l’occurrence le traitement, ainsi que par des orientations à travers des conseils particuliers.
Bien évidemment, quand le jeûne arrive, il change les habitudes alimentaires, le moment de la prise des repas ainsi que le moment de la prise des médicaments, et cette situation doit être contrôlée et orientée par le médecin. Même si le patient est autorisé à faire le jeûne, il doit impérativement faire appel à son médecin traitant au cours du processus de jeûne, car il peut arriver qu’il soit amené à arrêter le jeûne dans des situations critiques, ou à continuer en prenant en considération un certain nombre de recommandations.
Quels sont les risques liés au jeûne du ramadhan concernant le diabète ?
D’abord, il y a un risque immédiat, car il faut savoir que le jeûne est une épreuve difficile pour tout le monde et non pas seulement pour les diabétiques. Ces derniers doivent manger d’une manière correctement gérée en fonction des besoins du corps et ensuite des médicaments qui doivent être pris à des moments bien précis. Donc, les risques sont liés à la perturbation de ces moments-là et à la manière de gérer les quantités des aliments et des médicaments. Le risque immédiat, c’est l’hypoglycémie. Sous l’effet de médicaments pris la veille et le fait de ne pas manger toute la journée, le patient peut être exposé à des hypoglycémies (chutes importantes de glycémie) ou des hyperglycémies. Cette situation représente aussi un risque, car il y a exposition à la dégradation des acides gras par l’organisme, car l’organisme trouve du glucose dans le sang et non dans les tissus. De ce fait, les organes et les tissus vont souffrir du manque de glucose, ce qui peut exposer le patient à des états pré-comateux, voire comateux.
Pour ce qui est des risques à long terme, et vu le cumul des erreurs réalisées pendant la période de jeûne, les diabétiques peuvent présenter des déséquilibres après le ramadhan, ce qui est très fréquent, et c’est là un risque que les patients ne prennent pas en considération. Dans ce cas-là, c’est au médecin de prendre la décision d’autoriser le jeûne ou pas.
Ces risques sont-ils les mêmes pour le diabète de type 1 et le diabète de type 2 ?
En réalité, dans un sens global, les risques peuvent être les mêmes, car à partir du moment où l’on est diabétique, on peut être exposé à des hypoglycémies et à des hyperglycémies. Mais pour le diabète de type 1, c’est-à-dire pour les personnes diabétiques depuis leur enfance ou les jeunes adolescents qui sont diabétiques et nécessitent un traitement strictement basé sur la compensation en insuline, cette catégorie ne doit pas jeûner. C’est vraiment exceptionnel qu’ils soient autorisés à le faire et c’est au cas par cas. Ainsi, en général, le diabétique de type 1 n’est pas autorisé à jeûner. Pour le type 2, les risques ont été cités ci-dessus, que ce soit pour ceux qui prennent des comprimés ou de l’insuline.
A quel moment le diabétique doit rompre son jeûne ?
Les recommandations internationales pour le diabète et le ramadhan stipulent qu’une fois que la glycémie atteint pendant le jeûne un chiffre inférieur à 0,70g/l, on doit immédiatement rompre le jeûne, quel que soit le moment de cette découverte, et ce même si l’on n’a pas de symptômes parce qu’on ne sait pas ce qu’il peut y arriver par la suite. Pareillement pour une glycémie qui augmente au-delà de 3g/l. Donc, selon ces mêmes recommandations, la glycémie du diabétique, durant tout le parcours du jeûne, doit toujours se situer entre 0,70g/l et 3g/l. Cela est expliqué par le médecin qui prend en charge le patient.
Quelles recommandations ou conseils faites-vous aux patients diabétiques qui ont envie de jeûner ?
Evidemment, tout le monde veut jeûner du fait des habitudes acquises dès le jeune âge, et c’est extrêmement difficile d’abandonner une habitude avec laquelle nous avons grandi, pour une raison ou une autre, surtout si cela est lié à une pathologie qui s’installe et contre-indique le jeûne. C’est ce qui engendre chez ces personnes-là un choc émotionnel important et une sensation de frustration qu’il est difficile de gérer. En général, on a les moyens psychologiques mais surtout techniques pour convaincre le patient que l’autorisation n’est pas donnée par le médecin seulement mais surtout par Dieu le Tout-Puissant. Nous, en tant que médecins, on donne juste un avis technique et on tente d’expliquer les risques encourus.
Par ailleurs, et même si l’on est autorisé à jeûner, ce n’est pas une carte blanche qui est donnée. Le patient doit toujours tenir compte des recommandations et des conseils qui sont donnés par les structures de soins (hôpitaux ou polycliniques). Au moindre problème ressenti pendant le jeûne, le patient doit en informer son médecin traitant pour voir si le traitement doit être ajusté ou s’il faut carrément arrêter le jeûne.
Comment une personne atteinte de diabète de type 2, sous médicaments oraux, peut-elle gérer son traitement ?
Quand on autorise le patient à jeûner, il y a toujours une nouvelle répartition du traitement. En général, on jeûne entre 15 et 16 heures, avant de faire une rupture du jeûne qui dure à peu près 8 heures. La fragilité de la situation réside à ce moment-là, car on doit connaître quel médicament prendre et comment le prendre. Généralement, le médicament le plus fort est prescrit soit avant ou juste après le repas principal, et il y a aussi les autres médicaments associés tels que ceux de l’hypertension artérielle ou encore les autres médicaments que ceux du diabète et qui doivent être pris au milieu de cette période de rupture de jeûne, dans la soirée. Il y a un autre médicament qui doit être pris au moment d’el-fedjr, avant d’entamer le jeûne. Cette manière de prendre les médicaments est très importante et le non-respect de celle-ci peut tout chambouler.
En général, les repas pris pendant le ramadhan sont très riches en calories et peuvent également contenir des aliments à forte teneur en glucides et en matières grasses. Que dire de l’alimentation du diabétique ?
Pendant le mois de ramadhan, on a deux repas dans une journée au lieu des trois habituels. Il va donc falloir bien choisir les aliments que l’on consomme et bien les répartir pendant la période où l’on est autorisé à boire et à manger.
Le diabétique autorisé à jeûner doit faire très attention. Malheureusement, la majorité des patients s’autorisent à commettre de petites folies en matière d’alimentation pendant la période de rupture de jeûne, pensant qu’ils vont tout brûler le lendemain, mais c’est faux. Cela va apprendre à l’organisme à se corriger en permanence. Cette association de glucides et de matières grasses est très dangereuse par rapport à l’absorption et à l’augmentation rapide de la glycémie.
Le comble, c’est que l’hyperglycémie n’est souvent pas ressentie rapidement chez tout le monde, ce qui nous pousse à consommer sans avoir de symptômes visibles. Il faut donc faire attention à l’alimentation.
Généralement, les diabétiques qui ont eu l’habitude de jeûner depuis des années ont acquis une expérience en matière de gestion de l’alimentation. Cette dernière doit être composée de deux repas, principal et secondaire (shour). On insiste sur ce dernier car c’est un repas très important, contrairement à ce que pense la majorité. Les repas doivent donc être bien répartis.
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