Dominique Sopo : «Marine Le Pen est obsédée par la Guerre d’Algérie» – Le Jeune Indépendant
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Dominique Sopo : «Marine Le Pen est obsédée par la Guerre d’Algérie»

Dominique Sopo : «Marine Le Pen  est obsédée par  la Guerre d’Algérie»

Dominique Sopo est le président de l’association française SOS Racisme pour la lutte contre  le racisme, la discrimination et l’antisémitisme. Il revient, dans cet entretien exclusif accordé au Jeune Indépendant, sur les derniers propos livrés par Marine Le Pen, présidente du Front national, l’extrême droite française, contre la communauté algérienne établie en France à qui elle veut interdire la double nationalité.

Aussi, revient-il sur la montée inquiétante du racisme en France, d’autant qu’il est le président de SOS Racisme et le mieux placé pour parler de cette discrimination. Un regain de racisme que notre interlocuteur a carrément lié à la crise économique et sociale vécue présentement en France et que Marine Le Pen endosse aux Algériens à travers des propos qui traduisent la haine que voue la présidente du Front national à notre communauté. Ecoutons les réponses de Dominique Sopo.

Le Jeune Indépendant : SOS Racisme est la plus importante organisation de lutte contre le racisme en France. Elle contient, dans son parcours du combattant, plusieurs réactions et positions suite aux déclarations racistes de l’extrême droite contre la communauté algérienne, à l’instar de celle musulmane en France, après chaque évènement sportif, sécuritaire et politique. Pourriez-vous nous fournir davantage de détails ?

Dominique Sopo : L’extrême droite en France a régulièrement porté des préjudices racistes contre la communauté musulmane.

Par exemple, elle a guetté les matchs de l’équipe d’Algérie lors de la coupe du monde de football de l’été dernier, en souhaitant que des heurts se produisent à leur issue et lui permette de stigmatiser les Algériens et les personnes d’origine algérienne vivant en France. D’ailleurs, tout le monde se souvient, à l’issue du premier match de l’Algérie et en absence du moindre heurt, de fausses photos ont circulé afin de faire croire que des violences étaient en train de se dérouler.

Cela s’est reproduit lors de la qualification de l’Algérie aux 8es de finale. Il y a eu, certes, des heurts impliquant des jeunes et quelques arrestations ont eu lieu. Mais à Nice, il ne s’est strictement rien passé, ce que reconnaît d’ailleurs le maire de Nice lorsqu’il prend cet arrêté interdisant les drapeaux étrangers pendant la coupe du monde.

Cet arrêté est évidemment grotesque car on ne voit pas en quoi le fait d’exhiber un drapeau étranger susciterait des heurts. En fait, il ne s’agissait pas d’une mesure d’ordre public, mais bien d’une opération politique visant à stigmatiser les Algériens et les personnes d’origine algérienne. Christian Estrosi, membre de l’UMP et donc de la droite dite républicaine, essaie depuis plusieurs années de s’attacher les faveurs de l’électorat de l’extrême droite, important dans sa ville, et notamment fondé sur la mémoire pieds-noirs.

D’ailleurs, on voit bien que le problème essentiel, ce ne sont pas des heurts réels ou imaginaires, mais la question du drapeau algérien et des populations d’origine algérienne qui renvoient à un imaginaire de la Guerre d’Algérie, dont il faut avoir conscience qu’elle constitue une terrible blessure narcissique en France. En effet, la perte de l’Algérie, considérée comme faisant pleinement partie de la France contrairement aux autres colonies ou protectorats, est la fin du rêve de la « plus grande France » et le repli du pays, pour l’essentiel, sur sa seule réalité européenne.

Comment expliquez-vous le regain de racisme enregistré récemment en France ?

Plusieurs facteurs expliquent cela. Bien évidemment, la crise économique et sociale dont on sait qu’elle est propice à des logiques de boucs émissaires. C’est compliqué, quand on est écrasé par la détresse sociale ou la peur du déclassement, de s’attaquer à la financiarisation de l’économie, à la mondialisation libérale, etc. Par contre, il est facile de passer sa rage sur les immigrés et leurs enfants, sur les juifs, etc. Mais il y a également une grande peur du déclassement de la France.

En effet, face à l’émergence de grandes puissances issues du Sud (Brésil, Inde, Chine,…), la France a du mal à trouver sa place dans un monde qu’elle ne dominera plus jamais sur les plans économique, financier, militaire, diplomatique… Face à la difficulté de repenser son rapport au monde, la tentation du repli sur un passé fantasmé est très présente. Cette tentation s’incarne, notamment, dans le refus de l’immigration et dans une volonté de revenir dans la France d’« avant ». Enfin, la montée en puissance des populations issues de l’immigration, sur le plan des diplômes, de leurs prétentions en termes de niveaux d’emploi et de pouvoir politique… se confronte à une histoire coloniale sur laquelle la France n’est jamais revenue dans sa parole politique.

Le lien colonial était un lien d’inégalité. Une partie de la population, incapable de sortir de cette pensée en termes d’inégalité, ne peut pas penser la disparition progressive du lien d’inégalité comme la marche vers l’égalité. Elle la vit au contraire comme le risque de l’inversion du lien colonial. D’où tous ces propos que l’on peut entendre : « Nous ne sommes plus chez nous », « Ce sont maintenant les étrangers qui font la loi », etc. Tout cela s’inscrit dans une forte incapacité, voire un refus du pouvoir politique de travailler l’ensemble de ces problématiques.

Quels genres de plaintes recevez-vous pour racisme ?

Les plaintes concernent les questions de discriminations à l’emploi ainsi que des insultes à caractère raciste. Ensuite, c’est à nous de travailler pour faire la part des choses. Il le faut pour deux raisons. Tout d’abord, pour aller en justice, il faut apporter des preuves, qui n’existent pas toujours. Ensuite, on peut très bien avoir l’impression d’avoir été discriminé sans que cela soit réellement le cas.

Revenons sur les défilés de joie des supporters algériens qui ont marqué la qualification de l’équipe nationale algérienne au Mondial du Brésil. Comment qualifiez-vous les déclarations de Mme Le Pen ?

Ces défilés étaient justement des moments de joie et de partage. Il y a, certes, eu quelques heurts, mais qui étaient le fait de quelques énervés. Les personnes de nationalité ou d’origine algérienne ont manifesté par ces défilés un attachement à l’Algérie, qui est soit leur pays, soit celui de leurs parents ou grands-parents. Je pense que les défilés vécus durant l’été passé étaient d’autant plus forts que, pour une rare fois, on parlait de l’Algérie de façon positive, grâce à une équipe de gamins talentueux et modestes dont beaucoup, secrètement, espéraient qu’ils symboliseraient l’Algérie de demain. Par ailleurs, l’attachement à l’équipe nationale algérienne est d’autant plus fort pour des jeunes d’origine algérienne qu’une partie d’entre eux ne se sentent pas pleinement acceptés par la société française et se situent dans un « entre-deux » contraint.

Comment qualifiez-vous les propos de Marine Le Pen qui veut interdire la double nationalité ?

Ce sont des propos qui montrent que Marine Le Pen est bien la fille de son père, obsédée non pas par les questions de double nationalité, mais par la Guerre d’Algérie. A cet égard, on voit bien que, contrairement à toute une stratégie de respectabilisation du parti d’extrême droite, les fondamentaux restent les mêmes : la haine des étrangers et de leurs enfants, la haine des juifs, la haine des autres.

L’extrême droite joue en outre sur l’idée que la double nationalité serait un indice de double allégeance. Comme si la nationalité résolvait les problèmes d’allégeance ! Rappelons d’ailleurs que durant la Seconde Guerre mondiale, plusieurs des fondateurs du Front national, le parti aujourd’hui présidé par Marine Le Pen, servaient l’Allemagne nazie, tout en étant de nationalité française.

A contrario, il y avait beaucoup de résistants qui défendaient les idéaux de la France et qui l’ont payé de leur vie. Plus globalement, Marine Le Pen saute sur la moindre occasion pour dire aux Français : « Regardez, il y a des traîtres parmi nous. Il faut les tenir à l’œil, les obliger à raser les murs ou les expulser du territoire. » La double nationalité est ici mobilisée comme ressource à ce discours de haine.

Mais ce qui est fondamentalement visé, ce sont les autres, qu’elle essaie de faire passer pour une 5e colonne. Ce qui est par contre inquiétant, c’est encore une fois que la mémoire de la Guerre d’Algérie n’ait pas été travaillée en France et que son souvenir puisse encore servir de support à l’extrême droite. Sur un plan plus principiel, la France reconnaît de facto la double nationalité pour de simples raisons de souveraineté.

En effet, la France accorde la nationalité indépendamment des législations des autres Etats. Par exemple, il est interdit pour un Marocain d’abandonner sa nationalité. Cela n’empêche pas la France de naturaliser des Marocains. F. S.

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