Dessalement: quand une panne fait tirer la sonnette d’alarme
A la veille de l’Aid el-Adha, plusieurs communes de l’ouest d’Alger ont connu des perturbations dans l’alimentation en eau potable. La raison ? Une panne électrique à la station de dessalement d’eau de mer de Fouka. En raison de l’ampleur de cette coupure, qui intervenait pendant un événement particulier , le ministère de tutelle décide de déposer plainte. La station de dessalement de Fouka a été mise en service en 2011. Elle est dotée d’une capacité de production de 120 000 m3 d’eau par jour.
Elle complète ainsi la station du Hamma, à Alger, dotée d’une capacité de 200 000 m3 et inaugurée en 2008. Ces deux stations ont pour missions de sécuriser l’alimentation en eau potable du Grand Alger. Lors du 1er jour de l’Aid, la wilaya d’Alger a consommée à elle seule près de 1,3 millions de m3 d’eau. On peut aisément deviner les graves perturbations dans l’alimentation en eaux de la capitale dans le cas d’une panne totale de ces deux stations. Mais il n’y a pas que la station de dessalement d’eau mer de Fouka qui a connu un incident technique en cette saison estivale. Au début du mois de juillet la gigantesque station de dessalement d’El Magtaa a fait face, elle aussi, à des problèmes techniques.
Cette dernière, inaugurée, en 2014 et avec ces 500 000 m3 par jour est considérée comme étant la plus grande station de dessalement d’eau de mer en méditerranée et en Afrique. D’un cout avoisinant les 500 millions de dollars, la station d’El Magtaa devait mettre un terme au stress hydrique auquel étaient soumise la seconde ville du pays, Oran, durant des décennies. Vu son gigantisme, la station est également appelée à alimenter quatre autres wilayas limitrophes que sont Mascara, Tiaret, Relizane et Mostaganem. Soit une population de près de 5 millions d’habitants. Mais au début de ce mois de juillet les oranais ont renoués avec les coupures d’eau après six ans d’abondance. Encore une fois des problèmes techniques ont réduits la capacité de production de la station d’El Magtaa.
En réalité, six ans après son inauguration cette dernière ne produit que 50% de ses capacités. Soit seulement 250 000 m3d’eau par jour.
Selon des indiscrétions rapportées par des médias, les équipements de cette station géante sont dans un état de détérioration qui renseigne sur sa maintenance. Cette infrastructure est gérée par la société Tahlyat Myah Magtaa (TMM), en partenariat avec Hyflux, une compagnie Singapourienne détentrice du contrat d’exploitation et de maintenance de l’unité. Cette dernière détient 47% des actions de TMM.
Hyflux s’implante à 250 kms à l’ouest de la ville d’Oran, plus précisément à Souk Tleta, dans la wilaya de Tlemcen. Dans cette localité, au mois d’avril de 2011, est inaugurée une nouvelle station de dessalement. Sa capacité est de 200 000 m3 par jour pour un cout de 251 millions de dollars.
Huit ans après son inauguration, cette infrastructure qui alimente une bonne partie de la population de la wilaya de Tlemcen est totalement à l’arrêt. Face à cette situation les autorités locales étaient dans l’obligation, bien avant l’arrivée de la saison estivale de mobiliser, par ces temps de crise, plusieurs milliards de dinars pour réhabiliter d’anciens puits et forer de nouveaux pour compenser une partie du manque d’eau résultant de l’arrêt de la station.
Aucune explication n’est donnée sur les raisons de l’arrêt de la production de cette dernière en dehors d’une instruction judiciaire ouverte par le parquet de Tlemcen impliquant l’entreprise des frères Kouninef dans une affaire de contrats douteux et transfert illicite de capitaux vers l’étranger ayant un lien avec la station de dessalement.
Déjà et bien avant son arrêt cette unité n’a jamais produit la quantité d’eau contractuelle, soit 200 000 m3. Heureusement que le pire, concernant l’alimentation en eaux potable des populations de la wilaya de Tlemcen, a été évité grâce à la seconde station de dessalement implanté à Honaine, toujours fonctionnels.
La situation de la station d’El-Magtaa et de Souk tleta n’a pas laissée indifférents les plus hautes autorités du pays. Il y a quelques semaines et bien avant l’incident de la station de Fouka une réunion de travail regroupant le ministère de l’énergie et celui des ressources en eaux s’est tenue pour faire le point sur la situation des stations de dessalement de l’ouest du pays et les mesures à prendre pour relancer la production. La révision de l’actuel modèle de partenariat dans la réalisation et la gestion des stations de dessalement était également à l’ordre du jour.
Le poids de la demande
L’ambitieux programme de construction de grandes stations de dessalement d’eau de mer a été lancé en 2003. Cette option stratégique a été dictée par les difficultés à répondre à la demande sans cesse croissante des populations en eaux potable en raison des sécheresses à répétition. En 2003, le prix moyen du baril de pétrole n’était que de 40 dollars, les réserves de change avoisinaient les 29 milliards de dollars tandis que la dette extérieure dépassait les 23 milliards de dollars. L’Algérie était bien loin de l’aisance financière qui a prévalue de 2006 à 2014. En raison des contraintes financières le gouvernement opte pour le mode BOT (build, opérate and transfer) qui signifie construire, exploiter et transférer, pour la réalisation de son programme de dessalement d’eau de mer. Ce modèle, connu sous l’appellation PPP (partenariat public privé) permet la mobilisation de financements extérieurs par le partenaire étranger.
C’est ainsi que AEC (Algérian Energy Compagny) une filiale de Sonatrach et de Sonelgaz est créé. AEC est ainsi chargée de lancer les avis d’appels d’offres à l’international pour la réalisation des stations de dessalement. En général, AEC détient près de 49% des parts de ces infrastructures. En 2004 et suite à l’amélioration de la situation financière l’Algérie décide de payer par anticipation sa dette extérieure. Le recours à des crédits extérieurs pour financer ce programme est remis en cause. Au moins neuf des onze stations seront totalement financer par des banques publiques algériennes. C’est ainsi que les onze stations vont couter près de 2,75 milliards de dollars pour une capacité théorique de 2,11 millions de m3 par jour d’eau dessalée (source ministère de l’énergie 2010).
Les sociétés espagnoles, qui ont une grande expérience dans le dessalement d’eau de mer vont s’accaparer de sept projets. Les autres vont aller à d’autres sociétés, Singapourienne (02), Malaisienne, américaine, canadienne et sud-africaine. Les partenaires étrangers vont alors déposer une offre technique où le cout de production d’un mètre cube d’eau dessalée à une place importante. A titre d’exemple et lors de l’ouverture des plis pour la réalisation de la station d’El magtaa, Hyflux a proposé un prix de 0,55778 de dollars le m3, soit l’équivalant 71,53 dinars au taux de change actuel. Quand on sait que le m3 d’eau de la première tranche payé par le consommateur algérien est de 6,30 dinars, ce ne sont ainsi pas moins de 65 dinars qui seront versés par le trésor public en soutien au prix de l’eau potable pour chaque m3 produit par la station de dessalement d’El Magtaa. C’est la loi de finance et dans le cadre des transferts sociaux, qui consacre annuellement plusieurs dizaine de milliards de dinars pour le soutien du prix de l’eau potable. Pour El-magtaa, la plus grande station du pays, AEC détient 43% des actions contre 47% pour la société Singapourienne Hyflux. Les 10% restant sont détenues par l’Algérienne des eaux. Donc et pour le cas d’El magtaa ce sont les deux entreprises publiques algériennes qui sont propriétaires majoritaires. Dans les dix autres stations, AEC détient en général moins de 50% des parts.
Quatorze ans après l’entrée en service de la première station de dessalement, celle de kahrama à Arzew d’une capacité de 90 000 m3 et cinq ans après l’inauguration de la dernière, celle de Ténès d’une capacité de 200 000 m3, la fréquence des arrêts et des pannes soulèvent beaucoup d’interrogations. Dans les contrats signés les obligations du partenaire étranger sont clairement mentionnées concernant la gestion et la maintenance des équipements et les capacités de production. Il se trouve que dans le cas des stations d’El magtaa et de Souk tleta, on est bien loin du respect des obligations contractuelles. En l’espace de 14 ans l’Algérie a énormément investie dans le dessalement d’eau de mer pour assurer une alimentation correcte en eaux potable des populations. Une option qui lui a permis d’éviter une grave crise de l’eau qui aurait entrainé des troubles sociaux et une instabilité politique.
Le dessalement une solution de rechange
En raison de la croissance démographique et des changements climatiques plusieurs pays optent pour le dessalement. En Tunisie, comme au Maroc ou en Egypte plusieurs projets de dessalement d’eau de mer ont été lancé ou en voie de l’être. L’Egypte, qui ne cache pas ses craintes de voir le débit du Nile baisser suite à l’entrée en service du barrage de la renaissance en Ethiopie compte lancer un ambitieux programme de construction de station de dessalement d’eau de mer. Actuellement, l’Egypte produit 230 000 m3 d’eau dessalée par jour. Une quantité qui ne représente que 10% des capacités de production de l’Algérie.
Mais à l’horizon 2025, l’Egypte compte investir 2,8 milliards de dollars pour construire 47 stations de dessalement. Un investissement qui permettrait à ce pays de cent millions d’habitants de produire 2,44 millions de m3 d’eau par jour. Mais contrairement à l’Algérie l’Egypte prépare dès maintenant la maitrise technologique et la fabrication des équipements des stations de dessalement. Au début de 2020 l’organisation arabe pour l’industrialisation, une entreprise égyptienne, a signé un protocole d’accord avec le sud-coréen Septra Tek pour la construction d’une usine de fabrication des membranes pour les usines de dessalement d’eau de mer.
La membrane est un élément important dans le processus de production d’eau dessalée. Elle sert à filtrer les sels et les impuretés organiques contenues dans l’eau de mer dans ce qui est appelé l’osmose inversée.
Malgré ses 11 grandes stations de dessalement l’Algerian Energy Compagnie, filiale à 100% de Sonatrach n’a pas pu faire aboutir un projet de production de membranes malgré son importance stratégique. Pourtant Sonatrach et Sonelgaz ont des relations d’affaires avec de grandes entreprises sud coréennes qui ont bénéficié de gros contrats dans le secteur de l’énergie ces vingt dernières années. Ces compagnies très influentes en Corée du sud auraient aisément aidées Sonatrach à trouver des partenaires capables de participer au lancement d’une industrie de dessalement d’eau de mer.
Le projet EvCon d’Issad Rebrab aurait également pu participer à cet effort. Ce dernier devait fabriquer des membranes capables de produire de l’eau ultra-pure.
Si Rebrab dispose de la technologie de production d’eau-ultra pure, il pourrait aisément produire des membranes de dessalement dont la technologie est moins compliquée que celle de l’ultra-pure. Pour revenir à AEC, filiale de Sonatrach et contrairement à ses homologues égyptiennes qui investissent dans l’industrie, elle se contente de lancer des avis d’appel d’offres à l’international et accordé des marchés aux entreprises étrangères à coups de milliards de dollars.
L’élaboration d’une stratégie nationale pour la maitrise de l’expertise, l’engineering et la création d’une industrie productrice d’équipements de dessalement d’eau de mer deviennent aujourd’hui une urgence en raison des pannes techniques à répétition de certaines stations en activités. Stratégiquement les pouvoirs publics doivent poursuivre le recours aux ressources en eaux non conventionnelles pour répondre aux besoins sans cesse croissant des populations en eaux potable.
Trois nouvelles stations de dessalement sont programmées en urgence. Une à Alger, plus précisément à Zéralda. Elle sera dotée d’une capacité de 300 000 m3 par jour et doit soutenir l’alimentation en eau potable des wilayas d’Alger et de Blida. La seconde dotée elle aussi de la même capacité que celle de Zéralda sera implanté à Annaba. Une troisième unité est prévue à Skikda. Elle sera dotée d’une capacité de 100 000 m3 destinée en priorité pour répondre aux besoins de la zone pétrochimique de Sonatrach.
Ces nouvelles capacités de 700 000 m3 qui seront opérationnelle d’ici à 2023 porteraient le volume total d’eau dessalé à près de 3 millions de m3 par jour. Une capacité qui nécessiterait une maintenance soutenue des équipements pour assurer un rendement maximal permettant de répondre aux besoins des populations en eau potable. D’où l’urgence pour le pays de se doter d’un potentiel productif d’équipements de dessalement et d’une maitrise technologique pour assurer la maintenance de ces stations qui ont coutés près de trois milliards de dollars à l’Algérie.