Décès de Bouteflika: La fin d'une époque honnie – Le Jeune Indépendant
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Nationale

Décès de Bouteflika: La fin d’une époque honnie

Décès de Bouteflika: La fin d’une époque honnie

Avec la mort de l’ex-président déchu, Abdelaziz Bouteflika, c’est toute une histoire politique du pays qui s’achève. Fin d’une époque, d’un mythe. A 84 ans, l’homme avait étroitement collé son destin personnel à celui de son pays, depuis la guerre de libération contre le système colonial, aux soubresauts de l’indépendance, au modèle socialiste et à l’idéologie tiers-mondiste, aux différents coups d’Etat et enfin à la magistrature suprême en 1999.

Né presque pour le pouvoir, l’homme était façonné pour ce périlleux exercice. Plus qu’une bête politique, c’est un loup solitaire et séducteur qui ne reconnaît que la petite tribu, dans la recherche risquée de la gloire. Imbu de son narcissisme primaire, de sa double culture et de sa maîtrise des langues arabe et française, Bouteflika excellait dans l’art de l’esquive, de la feinte, du double jeu langagier et, parfois, de son ton direct.

Apprécié pour ses diatribes arrachées de la tradition populaire, l’homme était aussi un génie dans les jeux d’appareils, dans la recherche des équilibres les plus impossibles et dans les calculs les plus fins sur les gestations du pouvoir et ses tourbillons.

L’homme est parti, emportant avec lui des secrets du système, autrefois parmi les plus fermés du monde, des secrets, les plus lourds sans doute, sur les tiraillements du sérail, sur les clashs au plus haut sommet de l’Etat, sur des reniements, sur des trahisons. Sur aussi ses fantasques décisions, sur ces erreurs et autres choix les plus pernicieux. Sur ces castings politiques les plus affreux et ses incommensurables dégâts.

C’est sous la pression de l’Armée et des manifestations de rue, chaque vendredi, qu’il va connaître une chute spectaculaire en avril 2019. Il a eu beau tenter de faire, dans ses dernières semaines de pouvoir, des propositions de feuille de route pour contenir la colère de la rue et les exigences de la hiérarchie politique et militaire, ce fut peine perdue. Aveuglé par tant d’ambitions et d’autorité, il n’a jamais réellement pu comprendre la voix de son peuple.

Après une démission médiatisée à outrance, il rédigea le lendemain, dans son style qu’on lui connaît, une lettre pathétique destinée aux Algériens, au vocabulaire codé, sorte de mea-culpa et de pardon.

Ensuite, il se mura dans un silence total. Plus personne ne put l’approcher. Ni ses anciens amis ni ses plus proches alliés. Ni entretien, ni déclaration, ni même la rédaction d’une biographie pour quelqu’un qui fut une véritable bête politique et une personnalité nationale de premier plan pendant plus de soixante ans.

Appelé familièrement «Boutef» par une majorité d’Algériens et par la presse, l’homme resta retranché dans la solitude dans sa résidence médicalisée de Zéralda, à l’ouest d’Alger. Proche, comme toujours, de sa famille, érigée comme un clan inviolable et sacré, il s’est éteint en silence, après plusieurs rumeurs sur sa mort, toujours démenties.

Sa chute était devenue inéluctable après des semaines de manifestations massives lancées le 22 février 2019 contre sa volonté de briguer un cinquième quinquennat, après 20 ans au pouvoir, et ce malgré sa maladie. Une annonce qui fut considérée comme une pure provocation.

Né le 2 mars 1937 à Oujda (Maroc), Bouteflika s’est engagé dans les rangs de l’Armée de libération nationale (ALN) pendant la guerre de libération contre le colonialisme français. Il était chargé des approvisionnements en armes à l’Ouest, notamment à partir du Mali, ce qui lui a valu le nom de « Abdelkader El Mali ».

A l’Indépendance, il est élu député de Tlemcen en 1962, puis devient rapidement ministre de la Jeunesse, des Sports et du Tourisme dans le premier gouvernement d’Ahmed Ben Bella, de 1962 à 1963. Après l’assassinat de Khemisti, il occupe les fonctions de ministre des Affaires étrangères de 1963 à 1979. C’est durant cette période qu’il s’excella dans la diplomatie et les relations internationales, caractérisées par la guerre froide.

Il devint pratiquement le porte-parole de la voix de l’Algérie révolutionnaire, celle qui défend le droit des peuples à la liberté et à la justice. C’est durant cette époque que le mouvement des non-alignés connut ses heures de gloire. Bouteflika y joua un rôle majeur aussi bien aux Nations unies que dans les autres organisations internationales.

Après la mort de Boumediène en décembre 1978, il est pressenti, avec un autre candidat, à la magistrature suprême. Mais la hiérarchie militaire lui préféra un autre. Il devint alors de 1979 à 1980 ministre conseiller du président de la République Chadli Bendjedid, puis fut forcé à l’exil en 1981. Après les émeutes du 5 octobre 1988, il fit une apparition remarquée en signant une pétition contre la torture et un appel avec des personnalités historiques. Il rejoignit même l’activité partisane de son parti de toujours, le Front de libération nationale, lors des élections municipales, et ce en animant des meetings populaires.

A la fin de l’année 1993 et au début de l’année 1994, alors que le pays s’était englué dans le chaos et le terrorisme, il fut approché pour gérer l’Etat en faillite et redresser la situation économique et sociale. Il retourna dans son exil pour quelques années encore, notamment dans les pays du Golfe et en Suisse.

Rentré au pays en 1999, il se présenta à l’élection présidentielle anticipée, après la démission de Zeroual. Un vote mouvementé qui fut marqué par le retrait de tous les candidats, au nombre de six, accusant les autorités de l’époque de fraude préméditée. Il gagna ces élections, sans vraiment combattre le moindre rival. Il mit presque un an avant de désigner son gouvernement, après un bras de fer avec l’Armée. Il resta au pouvoir près de 20 ans, après avoir effectué 4 mandats consécutifs. Son règne fut le plus long dans toute l’histoire des chefs d’Etat algériens. En vingt ans, il modifia à plusieurs reprises la Constitution, forma une quinzaine de gouvernements, désignant plusieurs dizaines de ministres.

Cependant, son règne fut marqué par des scandales de corruption et de détournement de deniers publics. Des procès retentissants éclaboussèrent des dignitaires politiques, qui furent parmi les plus proches alliés, comme les affaires de Khalifa Bank, de Sonatrach, de l’autoroute Est-Ouest. Durant les derniers mandats, ce fut toute une faune d’hommes d’affaires sans scrupules, épaulés par des politiques et de hautes personnalités de l’Administration, qui tinrent l’affiche. La corruption, la pratique des pots-de-vin, la concussion et la dilapidation des ressources devinrent monnaie courante.

De plus, c’est l’impunité totale qui exacerba l’opinion publique, scandalisée par cette gestion maffieuse des affaires de l’Etat. L’annonce de sa volonté de briguer un autre mandat en 2019 propulsa la population dans les rues de la capitale et dans les chefs-lieux de wilaya. C’est le début du Hirak, ce mouvement citoyen qui ébranla définitivement son pouvoir en quelques vendredis.

Après une première maladie en 2005, il fut victime en 2013 d’un grave accident vasculaire cérébral (AVC). Son état de santé se dégrada, sa mobilité fut réduite et il n’effectua que de rares apparitions sur fauteuil roulant. C’est certainement à partir de cette date que son pouvoir se déplaça et changea de main.

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