De l’urgence économique à la ruse politique
C’est officiel. Moins de deux ans après son adoption à la hussarde, l’Algérie renonce à la planche à billets. En tournant la page de ce mode de financement dit non conventionnel, défendu bec et ongles par l’ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia et voté unanimement à la fin de 2017 dans les deux chambres parlementaires, c’est un juste retour à la normale qui s’opère.
Rendu possible grâce à un amendement de la loi sur la monnaie et le crédit, autorisant le Trésor public de s’endetter directement auprès de la Banque d’Algérie (BA), la planche à billets était programmée pour une période transitoire de cinq ans, qui devait voir la concrétisation de réformes structurelles importantes.
Ce mécanisme de financement représentait, selon les arguments avancés par le gouvernement de l’époque, une « réponse urgente » aux rétrécissements des liquidités bancaires, du fait d’une chute brutale des cours du pétrole, alors que le pouvoir s’apprêtait à reconduire pour un cinquième mandat le président déchu Abdelaziz Bouteflika. Des élections présidentielles qui exigeaient surtout la paix sociale et une stabilité politique. On avait insisté sur ce point, excluant toute autre alternative, comme le recours à l’endettement extérieur ou l’introduction de nouveaux impôts.
La crise financière sévère s’est traduite notamment par l’épuisement du Fonds de régulation des recettes (FRR), en février 2017, amenant l’Algérie à recourir à ce dispositif transitoire. Entre la fin de 2016 et celle de 2017, les réserves de change du pays s’étaient contractées de près de 17 milliards de dollars, passant de 114 mds USD à 97,3 mds USD.
Outre la couverture des besoins du Trésor, le financement non conventionnel était destiné au remboursement de la dette publique interne, notamment les titres de l’Emprunt national pour la croissance, levé en 2016, ainsi que les titres émis en contrepartie du rachat de la dette bancaire de Sonelgaz et ceux émis au profit de Sonatrach, en compensation du différentiel sur les prix des carburants importés et de l’eau dessalée.
Cependant, cette décision n’a pas manqué de soulever de fortes
oppositions et des polémiques entre experts et financiers. Certains avaient brandi le risque d’une « méga inflation » aux effets désastreux sur l’économie du pays. D’autres estimaient qu’il s’agissait d’une grosse erreur politique.
Mais les critiques les plus inattendues sont venues de l’intérieur du système. Dans une note publiée le 1er avril dernier, la Banque d’Algérie avait explicitement estimé que le recours de l’Algérie à la planche à billets était « dès le début injustifié ». La Banque des banques a même qualifié de « paradoxal » l’appel insistant, lancé en avril 2017 par les initiateurs de ce financement, une « Task Force » installée auprès de la Primature de l’époque.
La BA avait estimé que la situation en Algérie durant les premiers mois de 2017 était « loin de présenter des similarités avec les cas exposés dans la note des experts (Etats-Unis, Europe, Japon) qui seraient susceptibles de justifier le recours au financement non conventionnel, dans notre pays ».
En plus, les instruments conventionnels de politique monétaire « n’avaient pas atteint leurs limites », avait-elle encore argumenté.
D’autre part, la Banque d’Algérie voulait s’assurer que les liquidités bancaires qui seraient libérées allaient effectivement servir au financement de l’économie, mais elle était sceptique sur cet objectif.
Effectivement, entre la mi-novembre 2017 et la fin de janvier 2019, sur quelque 6 556,2 milliards de DA mobilisés par le Trésor auprès de la BA, près de la moitié ont été injectés dans l’économie.
Depuis un mois, le gouvernement actuel a adopté une nouvelle approche. Des mesures sont lancées, visant à préserver les réserves de change du pays.