Crise en Ukraine: L’Occident hypothèque la sécurité alimentaire mondiale
Les puissances euro-atlantistes jouent avec le feu. En provoquant le conflit en Ukraine, celles-ci hypothèquent en réalité leur propre avenir mais aussi celui de l’humanité. En effet, la poursuite du conflit risque de provoquer de graves crises alimentaires en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. Une mise en garde à laquelle s’est livrée l’Algérie, engagée, depuis peu, à la tête d’une médiation arabe pour le règlement du conflit ukrainien.
Déjà, des pays comme la France, la Grande-Bretagne, l’Egypte, la Tunisie pour ne citer qu’eux, commencent à connaitre des pénuries d’huile de tournesol, de blé et de farine et d’autres d’entrées alimentaires dérivées. Sans parler des engrais produits par la Russie et l’Ukraine et qui vont manquer sur le marché européen, impactant ainsi négativement l’agriculture des pays de l’Union européenne.
La France qui suit la stratégie américaine des sanctions contre la Russie commence à sentir les contrecoups d’un conflit qu’elle n’a pas su éviter, en tant que garante des accords de Minsk.
Les ménages français ressentent de plus en plus le manque de l’huile de tournesol, essentielle dans la consommation de tous les jours. «La France importe tous les ans 144.000 tonnes d’huile de tournesol dont 90 % proviennent d’Ukraine», s’alarme Michel Portier, directeur d’Agritel, la société de conseil en stratégies des marchés agricoles. En effet, plus gros fournisseur mondial, l’Ukraine produit en moyenne 6,5 millions de tonnes d’huile de tournesol par an dont 5,9 millions destinés à l’exportation. A cause du conflit, le prix de l’huile de tournesol avoisine les 2.300 dollars (environ 2.100 €) la tonne contre 1.500 dollars (environ 1.370 €) auparavant », précise Michel Portier. Ce qui implique une raréfaction de cette matière sur le marché mondial, avec des retombées négatives sur les pays consommateurs y compris en Afrique du Nord.
Et l’exemple de l’huile de tournesol est à multiplié sur plusieurs matières premières. Blé, maïs: les prix des matières premières agricoles se sont envolés de 12,6% en mars sur un mois. La cause ? La poursuite du conflit, dopé par les positions russophobes de l’administration Biden et de son allié britannique, ainsi qu’une menace sur les prochaines récoltes.
L’indice de l’organisation des Nations unies pour l’Alimentation, la FAO, qui suit la variation mensuelle des cours internationaux d’un panier de produits alimentaires de base, avait déjà atteint en février son plus haut historique depuis sa création en 1990. Il enregistre cette fois sa plus forte progression en l’espace d’un mois.
Les prix sont notamment tirés par la flambée des céréales, dont l’indice a enregistré une augmentation de 17,1% «sous l’effet de fortes hausses des prix du blé (+19,7%) et de toutes les céréales secondaires».
Russie et Ukraine sont respectivement premier et cinquième exportateurs mondiaux de blé, représentant à eux seuls 30% de l’approvisionnement mondial.
Par ailleurs, les prix du maïs ont aussi «enregistré une progression mensuelle de 19,1%, atteignant un niveau record», indique la FAO.
Les prix alimentaires sont également tirés vers le haut par les huiles végétales, dont l’indice FAO «a bondi de 23,2%, porté par la hausse des cours de l’huile de tournesol», selon le rapport qui précise que l’Ukraine et la Russie totalisent 80% des exportations mondiales.
Dans le même temps, les prix des huiles de palme, soja et colza, sur lesquelles se reportent de nombreux industriels, ont nettement progressé en mars.
Risque d’un nouveau Printemps arabe plus global ?
C’est dire que les temps sont dures pour de très nombreux pays, et pas seulement ceux qu’on soupçonnerait de fragilité chronique. Même les pays occidentaux payeront cher leur alignement aveugle sur les stratégies destructrices de l’Otan, qui ont utilisé l’Ukraine comme un cheval de Troie afin de neutraliser la Russie. En guise de représailles à ces sanctions unilatérales et illégales du point de vue de la légalité internationale, le président russe Vladimir Poutine a proposé mardi dernier de «surveiller» les livraisons alimentaires vers les pays «hostiles» et «inamicaux», l’Europe occidentale en premier lieu.
«Nous ne devons pas stopper les échanges commerciaux mondiaux, et les exportations ne doivent être ni restreintes, ni taxées», a prévenu le directeur général de la FAO, Qu Dongyu, dans un discours fait ce vendredi lors d’un conseil de l’organisation. Il pointe les similitudes avec la crise de 2008 à l’origine d’émeutes de la faim – hausse des prix alimentaires, du pétrole et des engrais – (qui ont abouti au Printemps arabe en 2010-2011) qui se superposent à deux années de pandémie qui ont fragilisé les économies.
Selon les experts, le choc initial sera d’abord ressenti dans les endroits déjà proches de la famine — l’Afghanistan, le Yémen et l’Éthiopie — et ceux dont l’essentiel des importations de blé, par exemple, provenait de l’un ou l’autre des deux pays — le Congo (plus de 60 %), l’Égypte (plus de 70 %), la Turquie (plus de 80 %) et l’Érythrée (100 %).
Les prévisions d’Arif Hussein, économiste en charge du Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM), sont plus alarmistes. Selon lui, 26 pays dans le monde importent plus de la moitié de leur blé de Russie et d’Ukraine.
«Si cette guerre n’est pas réglée dans les deux prochaines semaines, les choses vont encore empirer», estime Hussein. «Cela signifie que l’Ukraine ne sera pas en mesure de planter du maïs. Le blé d’hiver qui se trouve dans le sol ne sera pas fertilisé, et la récolte sera fortement réduite. C’est un véritable danger. L’Ukraine est un pays de 40 millions d’habitants, mais elle produit de la nourriture pour 400 millions de personnes. C’est la réalité d’un monde globalisé. Nous sommes tous dans le même bateau », conclu-t-il.
Tout aussi affectée que ses voisins arabes, l’Algérie s’est empressée de saisir, via la Ligue Arabe, ses deux partenaires russe et ukrainien pour extirper le conflit de l’entêtement américain qui s’apparente à une action suicidaire à laquelle n’ont pas souscris les pays arabes. L’opposition par ces pays à l’exclusion de la Russie du Conseil des droits de l’homme de l’ONU résume l’exacerbation du monde arabe à l’égard de la surenchère occidentale. Pour la diplomatie algérienne, aucune option ne peut mener à un règlement du conflit que par la voie de la négociation entre les deux partis en conflit.
Vers une crise mondiale des engrais
Et ce qui n’arrange pas les choses, c’est la crise des engrais qui se profile. En effet, l’Ukraine, la Russie et la Biélorussie exportent de grandes quantités d’engrais azotés et potasses dans le monde entier. «La plus grande menace à laquelle le système alimentaire est confronté est la perturbation du commerce des engrais», déclare David Laborde, analyste principal à l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires à Washington, D.C. «Le blé aura un impact sur quelques pays. La question des engrais peut avoir un impact sur chaque agriculteur dans le monde, et provoquer des baisses de production de tous les aliments, pas seulement du blé». Ce qui veut dire que les principales victimes seront les agriculteurs européens en premier lieu.
Le marché des engrais était déjà dans la tourmente avant la crise actuelle et les sanctions occidentales contre la Russie. Les exportations d’engrais potasses biélorusses étaient elles aussi sous le coup de sanctions après que le gouvernement de ce pays a forcé un vol Ryanair à atterrir l’année dernière pour arrêter un dissident se trouvant à bord. La crise du Covid-19 a perturbé le transport maritime mondial et les chaînes d’approvisionnement.
L’industrie agricole a été durement touchée par la crise en Ukraine et les sanctions occidentales contre la Russie. Cette dernière était le premier exportateur mondial d’engrais en 2019, selon les données de l’Observatoire de la complexité économique. Le volume des échanges d’engrais de la Russie s’élevait à près de 9 milliards de dollars.
Aujourd’hui, la Russie et la Biélorussie frappées par des sanctions occidentales unilatérales, sont les principaux exportateurs de plusieurs composés fertilisants critiques, notamment l’urée et la potasse, mais la réduction des exportations de ces produits a fait grimper les prix. La flambée des prix des engrais a également été aggravée par la hausse des coûts du gaz naturel, une matière première essentielle dans la production d’engrais à base d’azote, dans le contexte d’une interdiction américaine des importations de pétrole russe et de discussions en Europe sur le découplage de l’énergie russe.
Aussi, les compagnies maritimes internationales ont en grande partie suspendu leurs activités en Russie, ce qui a paralysé le commerce mondial. Et début mars, des responsables russes ont demandé aux producteurs d’engrais du pays de ralentir leurs exportations en représailles aux sanctions occidentales.
Au rythme actuel, les Etats-Unis provoqueront une grande pénurie alimentaire en Europe, c’est-à-dire leur allié docile à travers le manque d’engrais pour l’agriculture européenne. Les autres pays, plus vulnérables, risqueront des soubresauts socio-politiques de type Printemps arabe à cause de pénurie de denrées alimentaires stratégiques, à l’instar du blé. La folie russophobe qui s’est emparée de l’Occident risque de plonger l’humanité dans des tourments insoupçonnés.