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Nationale

Crimes nucléaires français en Algérie : «Odieux et imprescriptibles»

Crimes nucléaires français en Algérie : «Odieux et imprescriptibles»
Un désastre humain et environnemental.

Soixante-cinq ans après les premières détonations nucléaires dans le Sud algérien, en cette funeste journée du 13 février 1960, les stigmates de ces essais coloniaux demeurent profondément gravés dans les mémoires des survivants et des générations suivantes.

Ces essais laissent derrière eux un véritable désastre, tant sur le plan humain qu’environnemental. Aujourd’hui, plus que jamais, l’impératif de justice et de mémoire s’impose, pour que la France reconnaisse sa culpabilité et pour que les victimes, ignorées pendant plusieurs décennies, puissent enfin obtenir réparation et que le sol, abreuvé du sang des martyrs, puisse être décontaminé des affres coloniales.

C’est dans cet esprit de devoir de mémoire et de quête de justice que Radio Algérie Internationale a organisé, mardi dernier, une journée d’étude sous le thème « La radio, témoin fidèle de crimes imprescriptibles ». L’événement, qui s’est tenu au club culturel Aïssa-Messaoudi, a rassemblé des experts, des scientifiques, des historiens, des militants des droits humains et des avocats. 

En commémorant le 65ᵉ anniversaire de ces essais nucléaires, les intervenants ont rappelé la gravité de ces essais commis par la France coloniale, dénoncé l’absence de mesures concrètes pour réparer ces crimes et plaidé pour une prise de conscience nationale et internationale. D’une même et seule voix, ils ont unanimement condamné ces explosions nucléaires, qualifiées de « tache indélébile sur le front de la France coloniale », insistant sur le fait qu’il s’agit d’« un crime odieux qui ne saurait être prescrit ». 

Aujourd’hui, la question qui se pose avec acuité est celle de la responsabilité historique de la France coloniale. Comment un crime d’une telle ampleur peut-il demeurer sans reconnaissance officielle, sans réparation concrète et sans mesures sérieuses de dépollution ? Ce silence, entretenu par des décennies de déni et d’opacité, constitue une deuxième injustice infligée aux victimes et à leurs descendants.

Le Pr Ammar Mansouri, spécialiste en ingénierie nucléaire, a rappelé les motivations géopolitiques et stratégiques de ces essais. Il a souligné que la France, alors en pleine guerre d’indépendance contre l’Algérie, voyait dans le Sahara un territoire non seulement riche en ressources naturelles, mais aussi propice à des expérimentations militaires à grande échelle. 

Il a expliqué que « ces détonations n’étaient pas uniquement motivées par la volonté de se doter d’une arme nucléaire, mais qu’elles avaient également une dimension politique et revancharde ». Face à son échec à diviser l’Algérie et à contrer la montée de la lutte indépendantiste, la France coloniale a sciemment procédé à ces explosions comme un ultime acte de représailles. 

Le premier essai, baptisé « Gerboise bleue », fut déclenché le 13 février 1960 dans la région de Reggane, en plein désert du Sahara. Il avait une puissance estimée à 70 000 tonnes de TNT, dépassant largement celle des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki. Le souffle radioactif a contaminé une zone gigantesque, affectant non seulement l’Algérie mais également plusieurs pays africains voisins et traversant la mer Méditerranée. 

Ce ne fut que le début d’une série macabre. Entre 1960 et 1966, 17 essais nucléaires ont été réalisés en Algérie, dont quatre explosions atmosphériques à Reggane, dont la plus puissante, « Gerboise verte », fut déclenchée le 25 avril 1961. Il faut ajouter à cela treize explosions souterraines à In Ekker, dans le massif du Hoggar. Là où le bât blesse, c’est que bien que l’Algérie ait obtenu son indépendance en 1962, la France a continué à utiliser le territoire national comme un terrain d’expérimentation nucléaire jusqu’en 1966, en violation totale des principes de souveraineté nationale. 

Le Pr Mansouri a également dénoncé « le caractère expérimental de ces essais sur des cobayes humains », affirmant que de nombreux témoignages indiquent que les militaires français avaient sciemment exposé des soldats et des civils aux radiations, afin d’étudier les effets directs des explosions sur l’organisme humain.

Un désastre humain aux effets persistants 

Pour sa part, le Dr Imad Eddine Ghodbane, président de l’Association nationale de médecine nucléaire, a dressé un constat alarmant sur les conséquences sanitaires et environnementales de ces essais. 

Il a expliqué que « les radiations émises par ces explosions ont eu des effets dévastateurs sur les populations locales, entraînant une explosion des cas de cancer, de malformations congénitales et de maladies chroniques ». 

Ajoutant que les substances radioactives les plus dangereuses, comme le plutonium, ont une durée de vie qui s’étend sur des milliers d’années, rendant les zones touchées hautement toxiques et inexploitables. Ainsi, les principales conséquences sur la santé des populations locales se sont traduites par une augmentation des cancers du poumon, de la thyroïde et des os chez les habitants de Reggane et In Ekker. Il a également été constaté des déformations congénitales et des malformations génétiques chez les enfants nés de parents exposés aux radiations, ainsi que des maladies neurodégénératives et un affaiblissement du système immunitaire chez les survivants. 

Le Dr Ghodbane a également dénoncé l’absence totale de décontamination des zones touchées, s’insurgeant qu’« à ce jour, aucune mesure concrète n’a été prise pour neutraliser les déchets radioactifs qui jonchent encore les sites d’essais ». 

Il a rappelé que les objets, vêtements et matériaux contaminés, ont été abandonnés à l’air libre, exposant ainsi les habitants à un danger invisible mais omniprésent. Certains d’entre eux, par manque d’informations, ont utilisé des débris radioactifs pour construire des habitations ou des objets du quotidien, aggravant leur exposition.

 

Bataille juridique pour la reconnaissance des crimes coloniaux 

Me Fatma Zohra Benbraham, avocate et militante des droits humains, a détaillé les efforts menés pour faire reconnaître ces essais comme des crimes contre l’humanité. 

Elle a révélé la découverte de documents confidentiels prouvant que la France avait pleinement conscience des risques sanitaires et écologiques liés à ces explosions et qu’elle avait délibérément caché ces informations. Elle a également relevé les principaux obstacles juridiques tentant d’entraver cette procédure, à l’instar du fait que la France refuse toujours d’ouvrir complètement ses archives sur ces essais. La loi Morin de 2010, censée indemniser les victimes, n’a quasiment pas bénéficié aux Algériens car, en dix ans, un seul dossier algérien a été reconnu. Elle a également souligné que la reconnaissance de ces essais comme crime contre l’humanité est entravée par des intérêts politiques et diplomatiques. 

Me Benbraham a néanmoins affirmé que « la lutte se poursuit avec détermination », assurant que les éléments de preuve réunis permettront bientôt d’introduire une plainte devant des juridictions internationales. 

Il convient de rappeler qu’au début de ce mois de février, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a affirmé que les réparations relatives aux explosions nucléaires et à l’utilisation d’armes chimiques par la France dans le Sud de l’Algérie sont un sujet indispensable pour la reprise de la coopération bilatérale, appelant à régler définitivement ces contentieux. Le président de la République a précisé, dans une interview accordée au quotidien français l’Opinion, que « le dossier de la décontamination des sites d’essais nucléaires est obligatoire sur les plans humain, moral, politique et militaire. Nous pouvions le faire avec les Américains, les Russes, les Indonésiens, les Chinois. Nous estimons que l’Algérie doit le faire avec la France, qui doit nous dire avec précision les périmètres où ces essais ont été réalisés et où les matériaux sont enterrés ».

 Il a également indiqué qu’« il y a aussi la question des armes chimiques utilisées à Oued Namous ». Le président Tebboune, rappelant avoir entamé sa carrière de fonctionnaire à Béchar, a révélé qu’« au tout début des années 1970, pratiquement toutes les semaines, nous avions des plaintes d’éleveurs relatives à la mort de leurs bêtes », mettant l’accent sur le fait qu’« il ne faut pas mettre la poussière sous le tapis et régler définitivement ces contentieux ». 

Le constat amer à l’heure actuelle est que les essais nucléaires en Algérie ne sont pas un simple épisode du passé mais bien une tragédie aux conséquences encore bien présentes. Dès lors, le combat pour la reconnaissance de ces crimes, pour la justice des victimes et la dépollution des sites, doit se poursuivre avec force et détermination afin de s’assurer que de telles atrocités ne restent pas impunies et soient reléguées aux oubliettes de l’histoire.



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