Convergence historique entre le Rif et le Polisario : L’étau se resserre sur l’occupant marocain
C’est un événement sans précédent dans les annales de la lutte des peuples sahraoui et rifain. En marge d’une conférence tenue le 14 septembre à Bruxelles, pour commémorer le 103e anniversaire de la proclamation de la République du Rif par l’émir Abdelkrim El-Khettabi, en 1921, une déclaration commune entre le Parti national rifain et le Front Polisario a été rendue publique.
Ce document, exceptionnel, dans l’histoire de la lutte des deux peuples contre l’impérialisme colonial du Makhzen, est un moment fondateur dans la convergence entre les deux mouvements indépendantistes qui luttent depuis des années pour réaffirmer le droit légitime des peuples rifain et sahraoui à l’autodétermination et à l’indépendance.
En effet, les deux mouvements capitalisent ainsi une lutte historique qu’ils mènent séparément contre le Makhzen marocain, outil du néocolonialisme et fossoyeur des projets républicains dans la région. N’a-t-il pas collaboré activement avec la France et l’Espagne pour écraser la résistance de la République du Rif proclamé en 1921 par l’émir Abdelkrim El-Khettabi, première république dans l’histoire du monde musulman avant la proclamation de la République turque par Mustapha Kemal Atatürk en 1923 ? Les rois du Makhzen de Moulay Youcef à Mohamed VI n’ont-ils pas utilisé tous les moyens pour réduire au silence ce peuple rifain, réfractaire à la domination des Alaouites depuis des siècle ?
La convergence objective entre la lutte rifaine et sahraouie n’est que l’aboutissement logique de la dynamique infernale de la domination, répression et prédation du Makhzen et de ses sponsors impérialistes et sionistes qui pillent les ressources de ces territoires et qui asservissent leurs populations. Les Rifains et à leur tête l’émir Abdelkrim n’ont pas oublié le fait que le Makhzen pseudo-indépendant en 1956 a mis en œuvre une politique de liquidation systématique de toute velléité d’indépendance et, à minima, de justice sociale, avec l’écrasement de la révolte du Rif en 1958-1959 par le prince héritier Moulay Hassan, futur Hassan II, et le sinistre colonel Oufkir. Au même moment, les Forces armées royales (FAR) et les armées coloniales françaises et espagnoles engageaient l’opération Ecouvillon pour écraser l’armée de libération nationale marocaine en 1958 au Nord du Sahara occidental sous occupation espagnole.
C’est dire que les deux peuples luttent depuis les années 1950 au moins pour recouvrer leurs souverainetés respectives et se débarrasser du joug marocain. D’ailleurs, Rifains et Sahraouis ont été victimes de complots internationaux et de marginalisation, leurs terres étant divisées sans tenir compte de la volonté de leurs habitants. Les puissances coloniales ont cédé les territoires de la République du Rif et du Sahara occidental à un régime inféodé aux intérêts impérialistes et sionistes dans la région, sans recourir aux procédures de décolonisation stipulées par les résolutions pertinentes des Nations Unies, ce qui a compliqué la nature du conflit et aggravé les souffrances des deux peuples.
La déclaration commune rifo-sahraouie énonce de nombreux points qui constituent un socle d’une future coopération entre les instances de libération des deux peuples. Les deux parties réaffirment ainsi « le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination librement et sans ingérence extérieure, un droit reconnu au niveau international, qui constitue la base de tout règlement juste et durable ». Est reconnu également « le droit du peuple rifain à la renaissance de la République du Rif dans ses frontières historiques, comprenant la restitution de ses droits politiques, culturels et sociaux, bafoués au cours des dernières décennies ».
Une étape vers la correction des erreurs historiques
Mieux, il est préconisé « la reconnaissance mutuelle de la République du Rif et de la République Sahraouie ». Ceci est considéré comme « une étape vers la correction des erreurs historiques et l’octroi aux deux peuples de leur droit légitime à la liberté et à l’indépendance ». Pour ce faire, les deux parties se sont entendus sur « l’ouverture de canaux de coopération dans tous les domaines pour réaliser la liberté et l’indépendance des deux peuples ».
Afin de concrétiser les buts communs, Rifains et Sahraouis ont convenus de revenir aux textes fondateurs des Nations unies et de l’ex-Organisation de l’Unité africaine (OUA), actuellement Union africaine (UA). Ainsi, les deux parties prennent « en considération la Charte de l’Organisation de l’Unité Africaine, qui stipule que ‘la liberté, l’égalité, la justice et la dignité sont des objectifs essentiels pour réaliser les aspirations légitimes des peuples africains’ ».
Rifains et Sahraouis sont également « conscients que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui couvre les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, garantit le droit de recevoir, d’exprimer et de diffuser des informations et des opinions (article 9), le droit à la propriété (article 14), et à l’éducation (article 17) », et que « la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelles des Droits de l’Homme encouragent la coopération pour atteindre les objectifs et établir des alliances pour une vie meilleure pour les peuples », les deux parties réaffirment leur « attachement aux principes des droits et libertés des êtres humains et des peuples tels que qu’énoncés dans les déclarations, conventions, et autres instruments adoptés par l’Organisation de l’Unité Africaine et les Nations Unies ».
Ce programme de convergence, historique à plusieurs égards, n’est pas sans conséquence sur la région. En effet, il ébranle un Makhzen plus que jamais en difficulté, soumis au chantage de l’entité sioniste et de ses autres parrains occidentaux. La population marocaine fuit en masse un pays criblé de dette et qui peine à assurer le minimum syndical de vie décente à ses sujets, dénonce l’incurie de l’institution monarchique et les intrigues de palais. Pis, la convergence rifo-sahraouie offre une véritable plateforme aux populations marocaines pour revendiquer leurs droits fondamentaux que le Makhzen bafoue.
La question qui mérite d’être posée actuellement est celle de savoir si le Rif va prendre les armes pour se libérer du colonialisme du Makhzen. Si cette option se concrétise, il est fort à parier que les conséquences sur l’Afrique du Nord seront très importantes. Le scénario de l’épopée d’Abdelkrim (1921-1926) peut se répéter, soit l’alliance makhzano-franco-espagnole pour écraser la lutte légitime du Rif pour la restauration de sa République.
L’émir Abdelkrim qui a considéré l’indépendance marocaine de 1956 comme une trahison n’a jamais accepté de retourner au Maroc, et est décédé au Caire en 1963 après avoir partager avec les Algériens leurs joies de l’indépendance en 1962. L’idéal d’El Khettabi sera-t-il réalisé ? En tout cas il est plus que jamais à portée de main.