Contribution : L’État à l’épreuve du temps et des mutations sociales
Depuis sa naissance notre Etat a subi des vicissitudes inhérentes à tout jeune Etat en formation. La mise en place et la consolidation de ses institutions sont passées par des phases d’adaptation aux besoins des réalités économiques et sociales de sa société elle-même en formation.
L’élite au pouvoir dont l’éveil politique était à l’avant-garde, forte de sa légitimité historique était consciente de sa mission d’encadrement et de mobilisation de la population pour son émancipation et sa modernisation.
Depuis, la formation sociale algérienne a complètement muté : émergence de la société civile, l’ouverture politique, les libertés individuelles et collectives, et celles de la liberté d’expression et de la presse ont bouleversé la société qui reste encore à la recherche de son équilibre socio-économique et politique.
Affirmer aujourd’hui que le pouvoir d’État a été linéaire depuis l’indépendance, c’est nier cette nouvelle réalité politico-économique.
Quant à l’alternance politique elle doit résulter d’une conquête politique et non par des vœux politiques. Des concepts tendancieux ont été élaborés dans des officines où se trament des machinations hostiles aux pays qui rejettent la tutelle étrangère.
De l’Etat patrimonial à l’Etat néo-patrimonial glissement sémantique ou tentative de dénaturer le pouvoir d’État algérien
Certains chercheurs se sont évertués sous le couvert de travaux de recherches et d’études universitaires à vouloir disséquer les mécanismes de l’économie algérienne et ses turbulences pour remonter à la nature du pouvoir qui les détermine et les explique.
Leur conclusion basée sur l’échec de l’industrialisation qui au lieu d’engendrer le surprofit aurait été le prétexte de s’assurer des rentes spéculatives sous l’économie administrée et qui se serait prolongée après l’ouverture économique grâce à la dérégulation de l’administration qui aurait été source de captation également de rentes spéculatives sur l’immobilier et les privatisations et même à travers les marchés publics réservés à une clientèle, sous le patronage d’un Etat néo-patrimonial.
Nous récusons cette approche sur une gestion rentière qu’aurait orchestrée un état néo-patrimonial. Après un bref rappel sur l’émergence de l’État national, suite à l’indépendance, configuré déjà par des textes fondateurs de la Révolution, nous allons procéder à une relecture critique de ces études et montrer leur caractère discriminatoire dont le but inavoué est de discréditer l’État algérien au niveau national et international.
Pour ensuite relever une contradiction d’ordre économique et idéologique qui travaillait la société algérienne et l’avait conduite à une économie plus ouverte mais n’était pas encore assumée.
Cet aspect de l’économie algérienne avec les idées qu’elle véhicule nous donne un autre éclairage sur notre évolution économique et politique.
Nous reviendrons dans les grandes lignes sur l’évolution du pouvoir d’état à l’épreuve des événements sociopolitiques.
Les causes constitutives d’un état collectiviste ou socialiste spécifique algérien
Le rôle économique de l’état avait déjà été préfiguré dans la proclamation du 1er novembre 1954 comme un état social. Le congrès de la Soummam avait reconduit ce principe de la prééminence avec son caractère social.
A sa suite la Charte de Tripoli de 1963 a posé le principe central de la responsabilité suprême de l’État comme garant du développement national, du renforcement de la souveraineté nationale et son régime socialiste.
Donc l’objectif dès les débuts du FLN, c’était la restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social après l’indépendance.
L’aboutissement à un état social, collectiviste, n’est ni un hasard ou circonstance accidentelle, ni d’un calcul politique, mais le fruit d’un processus historique.
Ensuite, il s’est retrouvé propriétaire de toutes les possessions de l’ex-colonat après le départ massif de la population européenne, tout en les soustrayant de l’appropriation sauvage.
Par conséquent l’État s’est trouvé de facto le garant de la gestion de l’économie nationale dans l’intérêt général, avec l’objectif d’améliorer les conditions de vie du peuple par l’élévation du niveau de l’emploie et des programmes sociaux en matière d’éducation et de santé.
Ce choix avait découlé de la misère sociale sous l’ère coloniale et du sous-développement endémique, hérité de la période coloniale avec un très bas niveau de l’industrie et de l’agriculture traditionnelle/vivrière de la majorité des indigènes, de la prise en charge des terres des ex-colons -devenus biens vacants – une administration désertée -par le départ massif des européens –, un sous-emploi accentué par une population majoritairement analphabète (+90 %) et un système de santé -dont les équipements répondaient particulièrement aux besoins de la population européenne-, défaillant par le manque et la désertion des médecins traitants et du personnel paramédical d’origine européenne qui assuraient le fonctionnement de ces structures insuffisantes.
Le pari de réunir les forces et les conditions qui permettent de créer les bases de lancement de projet à caractère économique, social et culturel, ne pouvait être relevé que par l’État issu de la guerre de libération nationale qui le légitimait.
Sa stratégie de gestion a reposé sur la constitution d’un vaste secteur public dont l’économie est planifiée, facilitant et créant les conditions de l’émergence d’un socialisme spécifique qui reflétaient les conditions socioéconomiques dans lesquelles évoluait le peuple algérien, bien qu’il ait été soumis pendant plus d’un siècle à une exploitation effrénée par un colonat tout puissant et à une discrimination sociale et économique, vis-à-vis de la communauté européenne qui jouissait de lois exorbitantes.
Projet de développement autocentré
La nationalisation des biens vacants dès l’indépendance avec la récupération de l’amont pétrolier et la nationalisation du secteur des hydrocarbures permettent l’accumulation de richesses par l’État pour accélérer la modernisation de la vie sociale et économique.
La stratégie de développement s’est appuyée sur le projet d’industrialisation dont le financement serait assuré par les revenus des hydrocarbures. La priorité est donnée à l’industrie lourde (sidérurgie, métallurgie) considérée comme industrie industrialisante.
Cette priorisation consacra la suprématie des industrialistes sur les agrairiens comme choix d’une stratégie de développement qui accélère l’exode rural amorcé pendant la colonisation et les sous-emplois qui le caractérisent.
Les investissements dans l’industrie n’ont pas généré de profits pour l’autofinancement des entreprises ni d’allocations au budget de l’État. Leur refinancement soit pour le fonctionnement, pour l’entretien ou le renouvellement des équipements a accentué leur endettement.
Le déclin de l’agriculture dû à son hibernation, accentué par l’exode rural a contraint l’État à recourir aux importations des produits agricoles dont la demande est en hausse du fait de la croissance démographique.
Cette dépendance alimentaire a fait de l’Algérie l’un des plus gros importateurs de blé au monde. Les politiques sociales volontaires au bénéfice de l’éducation (scolarisation massive) de l’enseignement, de la santé (médecine gratuite) avec leurs équipements, l’urbanisation, l’augmentation des revenus, se heurtant aux limites du marché national -l’emploi pléthorique dans l’administration et le secteur public pèse sur la productivité-.
Le financement de toutes ces dépenses était assuré par la seule exportation d’hydrocarbures. Les fluctuations cycliques du prix de l’or noir ont toujours créé des tensions sur la gestion budgétaire, et sur les politiques économiques ayant entraîné des structurations, restructurations ou même l’autonomie jusqu’aux réformes politiques initiées dès la mi 1989.
Dans le même temps des investissements conséquents sont consacrés à une scolarisation massive (notamment des filles) au développement du système éducatif, à l’urbanisation qui ont induit un bouleversement des modes de consommation et des modèles culturels particulièrement dans les grands centres urbains, qu’une augmentation des revenus a induit et que nous paierons cher au cours des années 90.
Ces changements recherchés comme vecteurs de la modernité sont de plus en plus vécus comme sources de tension sociale que l’entrecroisement des cultures a fait naître (déculturation, acculturation) du fait d’une confrontation culturelle dès la fin des années 1970 et début 1980.
La baisse du prix des hydrocarbures, donc celle du financement de l’économie, couplée à un infléchissement de la politique de l’économie planifiée, dès la deuxième moitié des années 1980, ont conduit l’État algérien à envisager et à mettre en place des réformes économiques et politiques.
Avant de les aborder et pour mieux les appréhender, il nous semble utile de commenter et expliciter le concept de la transition -de l’économie administrée à l’économie de marché tel qu’il avait été défini et qu’on considère comme dogmatique. La transition peut être plus adaptée.
De la transition
Dans son contenu normatif la transition désignerait un processus volontaire de rattrapage et de convergence qui impliquerait également partenaires développés ainsi que les institutions économiques et financières régionales et internationales.
Etant entendu que cette transition est le processus de transformation d’un système d’économie centrale planifiée (ECP) à un autre système – en principe l’économie de marché.
Ce processus de changement qui doit être initié par l’état souverain va le conduire à un bouleversement de sa nature et doit être accompagné paradoxalement par des partenaires développés et des institutions financières, remettant en cause de fait sa souveraineté. « D’où l’éloignement de ce modèle standard par un processus effectif revêtant des formes atypiques qui se sont révélées plus féconds « .
La convergence avec les économies développées était utopique de par leurs parcours différenciés. « Certains ont opté pour le concept de transformation post-socialiste « qui rendrait mieux compte du caractère graduel du processus dont l’issue n’est pas définie au préalable.
Quant à la rupture, elle consiste en un phénomène radical et irréversible ; elle fait passer l’économie d’un état à un autre. Elle est aussi utopique que la convergence avec les économies développées.
C’est aussi irréel que de se défaire d’une culture pour en absorber une autre par une simple volonté de vouloir en changer.
En Algérie le changement politique qu’a accompagné la réforme de 1989 ne peut être considéré comme une rupture mais une transformation qui s’est enclenchée et est toujours en phase d’adaptation à une nouvelle économie dont l’issue est en devenir.
La particularité algérienne
La grave crise économique de 1986 provoquée par les chocs pétroliers nécessitait de profondes réformes économiques. Une réflexion est initiée dès 1986 pour l’élaboration d’un projet de réforme.
Un premier rapport remis au gouvernement prévoit dans une vision à long terme un rétablissement des équilibres internes et une recherche d’une insertion active dans l’économie mondiale. La principale motivation de la réforme est économique pour se dégager de la rente pétrolière.
Elle devait être une ouverture progressive avec un assouplissement dans sa mise en place dans le cadre du système existant mais le changement politique la précipita. Elle n’a pas survécu au bouleversement politique, le gouvernement des réformateurs dura de la mi 1989 à fin 1991.
Comment se serait-elle déroulée sous d’autres conditions politiques ?
Le chef de file des réformateurs préférait un système de courant au sein du FLN. L’ouverture politique a contrarié la réforme : celle-ci ne visait pas « le démantèlement du secteur public productif mais son insertion dans une économie de marché où la monnaie et la gestion monétaire reprennent tous leurs droits « .
« Cette démarche consiste à mettre en place les règles du jeu qui doivent permettre une autorégulation du système « .
Chaque acteur doit jouer son rôle dans la nouvelle dynamique : l’Entreprise doit s’autogérer et assurer son redéploiement, la banque gère son portefeuille et s’initie au financement, aux syndicats de négocier leurs conditions socioprofessionnelles. La régulation économique et commerciale doit être soumise à celle du marché.
Seules les entreprises stratégiques ou les missions du service public peuvent donner lieu à des subventions. Donc l’objectif est de mettre fin à l’ingérence de l’administration, du parti ou des services de sécurité, afin de rendre les entreprises publiques plus performantes et compétitives sur le marché national. La suppression du monopole du commerce extérieur, consacre cette ouverture.
Cette réforme s’est heurtée à de fortes résistances au sein du parti. Ce n’est qu’après les émeutes d’octobre que suivent les bouleversements politiques -nouvelle constitution qui consacre toutes les libertés politiques, d’opinion, de la presse, syndicales- pour sa mise en œuvre. Mais en même temps celles-ci libèrent des forces insoupçonnées – divergences politiques de nouveaux partis- et dérives vers une situation qui remet en cause la possibilité même des réformes.
Pourtant l’ouverture politique avait été pensée comme un processus d’accompagnement des réformes. Donc cette réforme ne peut être évaluée par son arrêt précoce.
L’inopportunité de la réforme 89-91
La réforme économique de mi 89 à juin 91 qui devait consacrer la transition démocratique a buté objectivement :
– À la montée des revendications sociales favorisées par la concrétisation de la libéralisation politique avec la surenchère des nouveaux partis pour séduire l’opinion dans une période de renouvellement des assemblées.
– Par la rigueur économique induite par une réforme fiscale qui souleva une levée de boucliers des agents économiques.
– À l’environnement administratif inadapté à ces mesures de réforme ; la restructuration de l’environnement juridique et administratif du marché sont à peine initiés parce qu’à contresens de la demande sociale.
– Les créanciers publics et privés refusent de jouer le jeu du fait du brouillage politique.
L’orientation des réformes politiques, du fait de notre proximité avec la Russie pour des raisons historiques et géopolitiques a subi son influence et non celle de la Chine par son éloignement et son illisibilité en Algérie.
Cette réforme ambiguë qui consiste à libéraliser l’économie tout en préservant le secteur public et en l’intégrant dans l’économie de marché -avec le capital d’état- dans un nouveau cadre politique (ouverture politique) avec des nouvelles forces sociales (qu’il a fait naître) qui aspiraient à un changement socio-économique, ne pouvait que sombrer dans l’incertitude qu’elle a suscitée.
Une période de flottement – juin 91 avril 94- lui a succédé, à la recherche du meilleur équilibre économique, par une gestion la plus adaptée au contexte politico-économique de l’heure, mais que rendaient très difficile les créanciers :
a) Celle d’une ouverture « dirigée » par le gouvernement Ghozali qui suscite la prudence des banques, des compagnies d’assurances crédit ainsi que les bailleurs de fonds.
b) A l’économie de guerre de Abdeslam ou le retour à l’économie administrée faite de rigueur et d’austérité, qui braque les bailleurs de fonds qui conditionnent leur participation à plus de libéralisation.
Pour mieux comprendre les politiques engagées par deux gouvernements successifs –Hamrouche et Ghozali-, il faut savoir que l’approche de la problématique économique par toute la classe politique de l’époque se fondait sur la conviction qu’il s’agissait d’une contrainte financière.
Pour dépasser cette contrainte ils avaient opté pour le reprofilage de la dette pour avoir un répit en recevant les concours financiers nécessaires au redémarrage de l’activité économique en présentant le sérieux d’un bon débiteur et en ménageant la susceptibilité nationale sur tout ce qui touche à sa souveraineté. Cette démarche a échoué par le rejet de la majorité des créanciers.
Le gouvernement Abdeslam refusait tout compromis ou diktat avec le FMI. L’austérité de sa politique devait conduire à réduire le ratio de la dette mais la rechute du prix du baril l’avait entraînée avec elle. Au début de l’année 1994, le niveau de la dette extérieure est devenu insupportable au regard des possibilités -même les plus optimistes- de financement.
L’année 1994 sera celle du changement de cap radical de la politique économique et financière. Après un accord (Stand by) avec le FMI couplé à un rééchelonnement d’une partie de la dette, le gouvernement R. Malek a mis le pied à l’étrier du gouvernement pour s’engager par un second accord de 3 ans dit de facilité de financement élargie (FFE) conditionné par des mesures économiques et sociales dictées par le FMI. Ces conditions se résument par :
– La libéralisation du commerce extérieur.
– La libéralisation des prix.
– La dévaluation de la monnaie et le contrôle de la croissance des salaires.
– La restructuration des entreprises et leur privatisation.
– La réduction du déficit budgétaire, donc des dépenses publiques.
– La réduction et l’élimination des subventions de l’État aux entreprises déficitaires.
– La réforme fiscale, douanière, commerciale, des institutions bancaires et financières etc.
Ces mesures qui visaient le désendettement de l’économie ont amputé les capacités productives existantes.
Elles ont entraîné :
– La faiblesse des taux d’utilisation des capacités de production de l’industrie publique, de 51 % en 1993 à moins de 45 % en 97 due au manque de matière première, de pièces de rechange (taux de panne élevé)
– La dévaluation brusque du dinar, qui par la perte des changes a généré du découvert.
– Par la dissolution d’un grand nombre d’entreprises.
– Par le faible niveau des investissements dans le secteur industriel.
– La concurrence étrangère a étranglé la production nationale.
– L’évolution du commerce extérieur s’est soldée par une nette régression d’importations de biens d’équipements et ceux destinés au fonctionnement, au profit des biens d’alimentation et biens de consommation durables non-agricoles, avec un mode de financement au cash.
Les équilibres macro-financiers sont dus aux opérations de rééchelonnement, à l’amélioration du prix des hydrocarbures et à la forte contraction de la demande sociale due à la dégradation des conditions sociales de la population et du développement humain (de la 30e place elle a dégringolé à la 81e place – rapport mondial concernant le développement humain 1998-).
S’ensuive une augmentation du chômage avec la compression d’effectifs avec la fermeture des entreprises, l’effondrement de la création d’emploi avec un taux négatif -300 %, les mesures d’austérité qui ont affecté l’éducation, la santé et leurs équipements.
(Suivra)
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