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Nationale

Colonisation: Benjamin Stora préconise du mouvement dans le statu quo !

Colonisation: Benjamin Stora préconise du mouvement dans le statu quo !

La lecture du rapport remis par Benjamin Stora au chef de l’Etat français, qui lui a confié en juillet 2020 une mission de conseil sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie, donne le net sentiment que l’historien préconise finalement de mettre un peu de mouvement mémoriel dans le statu quo historique, pour reprendre une formule du défunt Hocine Ait Ahmed.

Ce n’est en rien surprenant. L’historien ne pouvait donc pas opposer les différentes mémoires de la colonisation en France. Il n’avait probablement pas d’autre choix que celui de s’inscrire dans une démarche consensuelle, la plus large possible, tout en avançant des propositions nouvelles, mais peu spectaculaires en dépit de leur caractère inédit. Des propositions qui favorisent l’illusion du mouvement dans le statu quo, sans pour autant le modifier dans un sens qui aurait encouragé des excuses officielles au peuple algérien, encore moins une repentance lourde de conséquences politiques. On le voit bien, MM. Stora et Macron ne sont pas des hommes de rupture.

La démarche de l’historien en mission officielle, s’inscrit nécessairement dans un contexte politique lié objectivement à sa conscience du poids politique des lobbys mémoriels en France, mais aussi au désir ardent du président Emanuel Macron d’obtenir un second mandat. Dans cet objectif, le successeur de François Hollande se trouve contraint de donner des gages au courant politique qui impose ses idées, et qui marque de son empreinte idéologique le paysage politique, le monde des medias, les réseaux sociaux et une société française où les frontières de la pensée politique sont de plus en plus poreuses. Il s’agit de l’extrême-droite que Marine Le Pen parvient souvent à la confondre avec la droite classique.
Une extrême-droite dont certaines thèses, notamment sur l’immigration, l’islam, la mémoire et le patriotisme, se recoupent parfois avec les idées sur les mêmes sujets des souverainistes de droite et de gauche.

Pour toutes ces raisons, les propositions de M. Stora ne pouvaient que relever d’un catalogue de bonnes intentions et de mesures qui s’apparentent à des cachets d’aspirine politiques pour soigner le cancer mémoriel ! Ses préconisations concernent d’ailleurs, majoritairement, la période de la guerre d’Algérie (1954-1962) et ses conséquences multiples. Elles semblent manquer donc d’audace intellectuelle et surtout de profondeur historique.

En outre, les choix symboliques de l’historien sont des options arbitraires, au-delà de leur pertinence, leur signification historique et la légitimité des noms retenus en tant qu’acteurs majeurs de la lutte du peuple algérien pour son indépendance, et en leur qualité de martyrs suprêmes. Par exemple, la reconnaissance de l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel par la police française. Si le choix de Me Ali Boumendjel est approprié, légitime même, pourquoi donc lui seulement parmi les dirigeants emblématiques de la Révolution algérienne « disparus », autrement dit torturés et assassinés ensuite par les nervis en tenue léopard du général Massu et du général Bigeard ? Pourquoi pas alors le légendaire Larbi Ben Mhidi et cheikh Larbi Tebessi, grande figure nationaliste du mouvement des Oulémas, tous deux enlevés, torturés puis assassinés par les parachutistes engagés dans la fameuse « Bataille d’Alger » en 1957 ? Même si la famille de Ali Boumendjel et, derrière elle, l’Algérie tout entière ont besoin de cette reconnaissance, la poser alors comme un geste mémoriel fort de la France, donne l’impression que l’on jette finalement de la poudre aux yeux.

Il en va de même pour le choix de l’Emir Abdelkader, choix qui ne peut être contesté en France du fait même que l’Emir est devenu un personnage consensuel après sa capitulation, son entrée dans l’ordre maçonnique et le rôle éminemment positif qu’il a joué plus tard en Syrie pour y préserver la communauté chrétienne des malheurs qui la menaçaient. Pourquoi donc ne pas reconnaître en même temps Cheikh El Mokrani, autre héros de la résistance anticoloniale, Cheikh Aheddad ou encore Lalla Fatma Nsoumeur !

Pourquoi ne pas reconnaître d’autre part, comme bloc de martyrs, ces centaines de torturés certes moins prestigieux, jetés en mer à partir d’hélicoptères, et appelés par euphémisme de pénéiculture « crevettes Bigeard », destinés finalement à nourrir les poissons dans les profondeurs ? Et s’agissant par ailleurs des cimetières à sauvegarder et à entretenir aux frais de l’Etat français, on propose à notre tour au président Macron celui de l’ile Sainte Marguerite au large de Cannes, où sont enterrés 600 Algériens morts en déportation, dont plusieurs membres de la Smala de l’Emir Abdelkader. Parmi les premiers arrivants, et dès le printemps 1841, le cheikh de la tribu insoumise des Abd-en-Nour, Sadik Ben Mokhnach, l’ancien « premier ministre » du bey de Constantine. Et avec la prise de la Smala, 290 de ses membres capturées par le duc d’Aumale, dont les familles des deux khalifa de l’émir Abd el-Kader, Bel Kharroubi et Mohamed Ben Allal.

Dans la panoplie des gestes forts de la France, Benjamin Stora a oublié également la reconnaissance de la souffrance des déportés algériens en Nouvelle Calédonie et, entre autres gestes hautement symboliques, la compensation du pillage du trésor de la Régence d’Alger et la grosse dette au titre du blé fourni à la France avant 1830. Sans oublier, bien sûr, les victimes des 17 essais nucléaires, aériens et souterrains, effectués par l’armée française dans le Sahara occupé puis libéré. Et également les enfumades de Saint-Arnaud et de Pélissier, sans compter les massacres du 8 mai 1945.

La montagne historique a-t-elle accouché d’une souris mémorielle ? On est tentés de répondre par l’affirmative tant le rapport Stora s’inscrit globalement dans la tradition officielle française qui n’arrive pas à s’extirper de l’influence politique des lobbys de Pieds-noirs et de harkis, clientèles pour certaines parties d’entre-elles de l’extrême-droite et de la droite extrême. Et certainement, des gisements électoraux pour le président Macron en 2022. Réalisme politique et intérêt électoral obligent.

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