C’est un rêve migrateur…
J’ai rencontré un drôle de type lors d’une mission dans le grand Sud. Vous savez : une mission qui avait l’air tout à fait bidon, du genre dont on se demande pourquoi on vous la confie et si vraiment elle a un sens.
Mais bon, je ne me posais plus de questions à l’époque et je m’étais habitué aux incohérences de la Société. Je pensais plutôt à profiter du voyage : rencontrer des gens, admirer les soirs doux parfumés à la menthe et tâter un peu du grand espace.
Le lendemain de mon arrivée, je me retrouvais déjà égaré au milieu des dunes. J’avais quitté la base et un coup de volant fantaisiste m’avait mené hors des pistes.
Je suis descendu de mon 4×4 et j’ai essayé de me repérer. C’était idiot : au milieu des dunes, quand on vient du nord, on n’a aucun moyen de retrouver son chemin. Je ne savais pas interpréter les herbes penchées, ni les traces de pneus ni la forme des dunes.
J’ai enlevé mes chaussures et je me suis dit que c’était le bon moment pour prendre un bain de pieds au sable chaud.
A ce moment-là, j’ai entendu appeler. En me retournant, j’aperçus un petit homme habillé de blanc et souriant de toutes ses dents jaunies par l’excès de fluor de l’eau saharienne. Il se tenait debout sur la dune, le sourire figé, attendant ma réaction.
-Tu vas où comme ça ? me demanda-t-il
-Nulle part ! répondis-je, je suis coincé !
Il descendit lentement vers moi en soulevant des nuages de sable sous ses pieds nus.
-Tu as les pieds nus, dit-il
-Toi aussi, répliquai-je du tac au tac
Il s’assit en croisant les jambes et leva la tête vers moi : « Tu ne veux pas t’asseoir ? »
– Où habites-tu ? lui demandai-je en m’asseyant
De la tête, il montra la dune derrière lui :
– Par là, pas très loin.
Ses yeux souriaient d’un air timide. Comme s’ils exprimaient une crainte quelconque, attendant que je me dévoile un peu plus ou que je montre de la sociabilité.
Je souris à mon tour : « Je me suis perdu, mon ami ! Heureusement que tu es là !
– Oui, dit-il, je suis là. J’ai d’ailleurs connu un homme qui s’est perdu tout comme toi. Un homme qui a fini par trouver son chemin. Je ne l’ai pas aidé.
– Ah ?
Le vieil homme sourit :
« Les gens s’imaginent que tout vient par hasard. Ils se disent perdus quand ils ne trouvent plus la direction de la maison. Ils sont confus quand ils n’arrivent pas à prendre une décision. En réalité, ils ont toujours une flèche dans la tête qui indique une direction. Je ne dis pas que c’est la bonne, ni que c’est la mauvaise. C’est juste une direction. Ce panneau indicateur que tu as dans la tête ne t’appartient pas. C’est un rêve migrateur.
Il y a des rêves -ou des idées, si tu veux- qui étaient là avant nous, avant la création du monde.
Quand l’humanité est née, chaque rêve a choisi son peuple. Ils pénètrent les esprits des femmes et des hommes, les habitent et, quand les porteurs meurent, ils s’envolent vers d’autres têtes.
C’est ainsi que des peuples entiers se disent indomptables, libres, fiers ou audacieux et que de grands hommes ou de formidables femmes se lèvent et imposent leur volonté. Le rêve ne se fatigue jamais, il se nourrit de l’énergie des femmes et des hommes et demeure toujours, comme une cicatrice reconnaissable de loin.
On ne peut échapper à ce rêve. »
Je l’ai regardé un moment puis lui demandai : « Tu n’aurais pas un peu d’eau ? »
– Je vais t’en ramener, dit-il.
Il se leva, monta en haut de la dune, la dévala de l’autre côté et disparut.
Il n’est jamais revenu.
Mais moi, si.