Le syndicaliste Bachir Hakem : «Des solutions au lieu de la politique de division» – Le Jeune Indépendant
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Nationale

Le syndicaliste Bachir Hakem : «Des solutions au lieu de la politique de division»

Le syndicaliste Bachir Hakem : «Des solutions au lieu de la politique de division»

Plus que quelques jours avant la fin de l’année scolaire. Les cours sont quasiment terminés pour la plupart des élèves, notamment dans les cycles primaire et moyen.

Cette fin d’année mouvementée a un goût d’inachevée, surtout que les cours ont été fortement perturbés à cause des mouvements de protestation déclenchés dans toutes les wilayas du pays. L’affaire des enseignantes agressées à Bordj Badji Mokhtar est venue accentuer la crise qui secoue le secteur. Le ministre de tutelle, qui tente de calmer les esprits, n’a toujours pas réussi à gagner la confiance du partenaire social.

Le syndicaliste et ancien professeur de mathématiques, Bachir Hakem, va tenter, à travers cet entretien accordé au Jeune Indépendant, de faire une évaluation de cette année particulière et donner un aperçu de ce qui attend la scolarité de nos enfants l’an prochain.

Le Jeune Indépendant : En application des orientations du président de la République, le ministre de l’Education a engagé une série de rencontres en vue de trouver un terrain d’entente avec les syndicats du secteur. Ces derniers ne semblent pas convaincus et menacent de boycotter les examens de fin d’année. A votre avis, pourquoi ces efforts de concertation n’aboutissent-ils pas

Bachir Hakem : L’accumulation des problèmes de l’éducation et le fait que les revendications n’aient pas été satisfaites, et ce depuis des années, ont poussé les travailleurs de l’éducation à se rebeller cette année à quelques semaines des examens de fin d’année. Et comme toujours, faute de ne pas donner des solutions concrètes au dernier soulèvement des travailleurs de l’éducation d’Oran, du 14 avril 2021, le mouvement s’est élargi à d’autres wilayas. La réponse toute trouvée des responsables est toujours la même : «Les travailleurs sont manipulés.»

Les ministres se sont succédé et n’ont jamais vraiment répondu aux attentes des travailleurs de l’éducation. Alors que si le problème du statut particulier a été posé dès les premiers mois de la nomination du ministre de l’Education, celui-ci, pour calmer la révolte, avait demandé au syndicat d’être sage car un statut particulier ne s’ouvrait pas chaque année et qu’il fallait un minimum de cinq ans pour en avoir un nouveau. Les partenaires sociaux, dans l’intérêt des élèves, avaient alors remis à plus tard leur revendication et avaient participé à une commission spécial statut particulier, laquelle a terminé ses travaux en 2017. Nous sommes en 2021 et toujours rien de nouveau. Aujourd’hui, les travailleurs ne croient plus aux promesses et aux commissions. Leur slogan est : «Pour enterrer une revendication, crée une commission».

Les orientations du président de la République ne peuvent à elles-seules satisfaire toutes les revendications dont la principale, à savoir «le pouvoir d’achat des travailleurs de l’éducation». Aujourd’hui, seule une décision financière courageuse et intelligente peut ouvrir un vrai dialogue.

Nos revendications ne datent pas d’aujourd’hui et n’ont jamais trouvé de véritables solutions. De plus, vu le nombre de syndicats corporatifs similaires, il est difficile de s’entendre, surtout que certains d’entre eux ont été créés pour diviser les rangs. Comme on dit, «Diviser pour mieux régner».

Aujourd’hui, le boycott des examens n’est pas qu’une menace mais une réalité. Nous venons d’assister dernièrement, dans certaines wilayas, au boycott du bac blanc et nous allons vers celui du baccalauréat. Alors, au lieu d’aller vers une politique de division ou d’accusation, une solution doit être trouvée.

On sent que le fossé se creuse entre les syndicats et le ministère de tutelle. Pourquoi à votre avis ? Que peuvent faire les responsables du secteur pour gagner la confiance du

partenaire social ?

Je l’ai dit précédemment, un ministre nommé gère sa carrière et n’est pas nommé pour défendre son programme. Il n’a aucun pouvoir de décision. Le ministre nommé est là pour appliquer des directives. Pour regagner la confiance des partenaires, il faut d’abord convaincre les travailleurs de l’éducation. Aujourd’hui, les travailleurs exigent du concret pour ne pas avoir à boycotter les examens de fin d’année. Alors, la balle est dans son camp.

Un ministre doit défendre son propre programme ou encore un programme auquel il croit et non gérer sa carrière.

Le mouvement de protestation du personnel de l’éducation a pris de l’ampleur. Nombreux sont les parents d’élèves qui se disent préoccupés du sort de leurs enfants scolarisés et craignent un décrochage scolaire. Quelles sont les répercussions de ces grèves récurrentes sur la concentration et l’apprentissage des élèves ?

Les parents d’élèves ont raison de s’inquiéter quant à l’avenir de leurs enfants et les crises perpétuelles dans l’école publique. D’ailleurs, plusieurs parents d’élèves qui en ont les moyens préfèrent inscrire leurs enfants dans des écoles privées, où les grèves sont inexistantes et où les conditions de scolarisation sont meilleures. Aujourd’hui, même si les parents d’élèves ont raison de s’inquiéter, ils doivent être objectifs car, dans l’accumulation des problèmes de l’éducation, c’est l’école publique qui est visée et ce ne sont pas les travailleurs de l’éducation qui en sont responsables.

Les parents d’élèves ne doivent pas se tromper d’adversaire car les victimes de ces crises dans l’éducation sont en premier lieu les élèves, puis suivent les travailleurs de l’éducation et les parents d’élèves. Tous les mouvements de protestation peuvent, avant leur annonce ou bien dès la première heure, être arrêtés si la volonté de passer une année scolaire normale existait réellement. Je peux vous donner comme exemple le soulèvement du 14 avril 2021, qui a commencé à cause d’un retard dans le versement des salaires des travailleurs dont le pouvoir d’achat est insuffisant. Ce problème avait déjà fait l’objet, des mois auparavant, de protestations d’une ou deux heures.

Ce mouvement ne s’est pas arrêté à Oran mais s’est étendu à toutes les wilayas qui vivaient le même problème et a mis à jour toutes les revendications qui, depuis des années, n’ont pas connu de réponses satisfaisantes, et ce malgré toutes les promesses. Nous sommes à la fin de mai et à 3 semaines du baccalauréat. La majorité des élèves du secondaire n’ont pas eu cours dans certaines wilayas, particulièrement dans la wilaya d’Oran.

Les élèves des wilayas qui se sont soulevées depuis le 14 avril à ce jour iront-ils aux examens du baccalauréat sans deux mois de cours ? Et les élèves des autres paliers, comment cela se passera-t-il pour leur passage avec deux mois de cours de moins par rapport aux autres élèves du pays. Aujourd’hui, aucune concertation ne peut réussir sans que les travailleurs n’obtiennent la satisfaction d’une des revendications posées qui pourrait atténuer leur pouvoir d’achat. Ajoutons à cela que les syndicats, dont les

représentants ont assisté à toutes les concertations depuis Abou Bakr Benbouzid, savent que ces rencontres ne sont que des décors pour les médias mais que, finalement, il n’y a rien de concret. Les ministres ne peuvent réussir dans leur entreprise s’ils n’ont aucun projet de programme ou le pouvoir de décision.

Nous sommes loin des ministres de l’Education des pays développés. Ici, ils sont nommés pour appliquer des directives même lorsque celles-ci ne leur conviennent pas.

Il y a un an, l’Algérie était confinée pour freiner la propagation de la pandémie de Covid-19. Les écoles avaient été fermées sur tout le territoire national pour rouvrir au mois de novembre passé. Peut-on avoir une évaluation de cette année scolaire sur le plan pédagogique ? Et peut-t-on dire que le défi a été relevé et que l’année scolaire a été réussie ?

L’année scolaire devait normalement commencer les premiers jours de septembre mais elle n’a débuté qu’au mois de novembre. Nous avions en moyenne entre la fin 2020 et le début de cette année 3 mois de retard dans la scolarité des élèves. Ajoutons à cela la séance d’une heure qui a été ramenée à 45 minutes. Ce qu’on peut dire, c’est que les travailleurs et les parents d’élèves ont fait d’énormes efforts pour limiter les dégâts qu’a provoqués la pandémie vu le retard pédagogique de l’année dernière et du début de cette année.

Nous ne pouvons nier ces efforts qui, parfois, ont été consentis aux dépens de la santé de milliers de travailleurs, dont certains ont perdu la vie devant l’ingratitude de certains. Perdre des milliers de travailleurs, arrêter l’année scolaire au début du mois d’avril, les agressions des enseignantes de Bordj Badji Mokhtar ou de Biskra et d’ailleurs encore ne peut que signifier qu’on a relevé le défi ou que l’année est une réussite. Lorsque des élèves d’une wilaya n’ont pas eu cours depuis le 14 avril dernier alors que le ministre et le gouvernement étaient au courant et n’ont pas réagi faute de trouver une solution concrète, c’est un échec.

Malgré l’autosatisfaction exprimée ici et là, l’échec de l’enseignement, cette année, est patent. Qu’en pensez-vous ?

S’auto-satisfaire c’est se mentir et observer une fuite en avant. Cette année devait être une année transitoire. On a voulu en faire autre chose et la considérer comme une année normale où l’on pouvait rattraper un retard de trois mois avec des séances de 45 minutes et des élèves ayant été admis avec une moyenne de 9/20. Les résultats sont là et toutes ces erreurs vont se répercuter sur l’enseignement dans les années à venir.

Quelles perspectives pour l’école algérienne après deux années scolaires perturbées ?

Les perspectives pour les années à venir sont d’ordre structurel, pédagogique et social.

Au point de vue structurel, il faut procéder à la refonte de l’éducation, revenir à l’enseignement technique, ouvrir des portes vers l’enseignement professionnel et d’autres enseignements, et ce dès le collège.

Au point de vue pédagogique, il faut revoir les programme, l’orientation et le baccalauréat.

Au point de vue social, il faut répondre à toutes les revendications des travailleurs de l’enseignement, revoir les critères de recrutement et d’intégration.

Quelles solutions proposez-vous ?

Faire d’abord un bilan de cet échec. Le travailleur de l’éducation doit rejoindre le secteur par conviction. C’est pourquoi les critères de recrutement doivent être revus et des critères d’intégration doivent précéder le recrutement. Des écoles de formation de qualité doivent voir le jour dans toutes les wilayas et pour toutes les matières, suivant les besoins de la wilaya, et ce pour limiter les problèmes d’hébergement des travailleurs comme c’est le cas aujourd’hui pour beaucoup d’enseignants. Il faut recruter beaucoup plus d’enseignants de spécialité et revoir les programmes pour des classes comptant au maximum 25 élèves.

Le travailleur de l’éducation doit aussi être à l’abri socialement, il est donc demandé un relèvement de son pouvoir d’achat, un statut des travailleurs de l’éducation digne, sans dysfonctionnement et redonnant plus de valeur au métier, le rehaussement de sa position au niveau national à travers un salaire digne et une autorité pédagogique.

Sur les réseaux sociaux, principalement Facebook, des parents d’élèves et des enseignants réclament le changement du programme et menacent de boycotter la rentrée scolaire et de ne pas envoyer leurs enfants à l’école. Peut-on changer un programme en un temps aussi court avant la rentrée scolaire ?

Les parents d’élèves observent tous les jours la surcharge des cartables de leurs enfants et assistent aux va-et-vient de leurs enfants d’un cour particulier à un autre, sans relâche. Ils ne sont pas convaincus du rendement de ces cours. Alors, il est tout à fait normal qu’ils appellent à un allègement des programmes. Nous avons le pouvoir de changer les programmes mais cela voudra dire qu’on devra l’amputer de certains cours, et je ne pense pas que c’est la meilleure solution. J’aurais, pour ma part, appelé à un changement de programme sans l’amputer, en faisant une refonte de l’enseignement, notamment dans le cycle secondaire qui pourrait être allongé d’une année.

Nous pourrions alors avoir un baccalauréat en deux étapes. La troisième année secondaire serait réservée à la première partie et la quatrième année à la deuxième partie. A mon avis, changer un programme dans la précipitation entraînerait d’autres lacunes. Un bon changement requerrait au moins une année de travail avec des ateliers dans chaque matière et des experts, tout en tenant une conférence nationale.

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