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Le pédagogue Bachir Hakem : «L’échec de l’éducation encourage l’école privée»

Le pédagogue Bachir Hakem :  «L’échec de l’éducation encourage l’école privée»

Longtemps bâti sur une école publique gratuite et obligatoire pour tous, le système éducatif algérien a connu plusieurs changements au cours des dix dernières années. Aujourd’hui, les écoles privées poussent comme des champignons et imposent un système d’enseignement tout autre, attirant de plus en plus de parents d’élèves.

Les écoles privées valent-elles mieux que les établissements publics ? Le syndicaliste, pédagogue et l’un des grands défenseurs de l’école publique, Bachir Hakem, parle au Jeune Indépendant des raisons qui ont mené à « l’échec » de l’école publique face à une émergence des établissements privés.

 Le Jeune Indépendant : Pour de plus en plus de parents, l’école privée est la voie royale vers la réussite. Ont-ils tort ou raison ? Autrement dit, l’enseignement privé permet-il aux élèves de mieux réussir à l’école ?

Bachir Hakem : L’école publique est accessible pour tous les enfants, sans exception. De nombreuses études montrent que cette mixité a des effets positifs sur l’éducation pour l’immense majorité des élèves, car nous retrouvons dans l’école publique toutes les couches sociales, ce qui n’est pas le cas pour l’école privée. Il est très important pour un enfant de côtoyer, dès son jeune âge, des camarades de tous bords, avec tous les risques, car c’est le reflet de la société. C’est aux parents de suivre leur progéniture et non pas d’éviter tout contact avec des couches sociales non recommandables selon leur point de vue.

Notre expérience nous a montré que les mauvaises relations peuvent se trouver aussi bien dans l’école publique que dans l’école privée. Les parents d’élèves ont peur pour leurs enfants et pensent que tous les maux de la société se trouvent dans l’école publique et non dans l’école privée, ce qui est faux. Aujourd’hui, aussi bien les enfants de l’école publique que ceux de l’école privée suivent des cours particuliers en dehors de l’établissement.

L’avantage qu’a l’école privée sur l’école publique c’est le nombre d’élèves par classe, l’absence de grèves et les conditions de scolarité qui sont meilleures. Mais cela ne remplacera jamais l’école publique qui a d’autres bienfaits essentiels pour l’enfant. Dans l’école publique, l’enfant doit obéir à l’autorité pédagogique sans rechigner. Son apprentissage est gratuit et le plus important c’est qu’il est assis côte à côte avec un camarade qui peut être issu d’une couche sociale différente. Aussi, rien ne remplacera l’école publique si elle est protégée par l’Etat. C’est pourquoi tous les syndicalistes et pédagogues crient haut et fort pour sauver l’école publique.

Les parents d’élèves reprochent à l’école publique le nombre de journées de grève par année, je leur dirai que cela fait partie de la formation de l’école qui apprend à défendre ses droits. Si le nombre de jours est exagéré, c’est que cela est voulu pour détruire l’école publique et pour promulguer l’école privée, car les cours particuliers ne s’arrêtent pas pendant cette période.

Les parents d’élèves trouvent cela normal et les responsables de l’éducation ne répondent pas favorablement aux doléances des enseignants qui voient leurs revendications non satisfaites au fil des années. Il est donc compréhensible que les parents d’élèves choisissent, à contrecœur, l’école privée, conscients que les avantages de l’école publique ne se trouveront jamais dans l’école privée.

Si les parents d’élèves souhaitent la réussite de leurs enfants quels que soient les moyens, sans tenir compte de l’éducation scolaire et sociale, alors, je peux dire qu’aujourd’hui, en Algérie, ils ont raison. Par contre, s’ils cherchent le succès de leurs enfants au milieu de la réalité sociale et avec les moyens actuels mis en place par l’Etat, je leur dis qu’ils ont tort. N’oublions pas qu’au niveau social, l’impact de l’école publique est positif.

A l’école publique, les élèves se côtoient tous, peu importe le niveau social de leurs familles respectives. Cela leur apprend à vivre ensemble et cela les prépare à leur vie professionnelle future.

Aujourd’hui, on constate que le système d’éducation est tout à fait inégal et inéquitable. Le privé et le public, c’est incomparable. Le fossé s’est beaucoup creusé, notamment durant la crise sanitaire due à la propagation du coronavirus. Qu’est-ce que vous en pensez ?

On ne peut pas considérer qu’un type d’établissement scolaire est meilleur qu’un autre, car la base du programme scolaire reste la même, même si le système et la pédagogie peuvent être différents. En Algérie, en 2019, on a privé les enfants d’un trimestre de leur scolarité. Celui-ci a, soi-disant, été rattrapé l’année suivante, ce qui est impossible.

Aujourd’hui, les enseignants savent que cela a engendré de nombreuses lacunes chez l’enfant et qu’il est très difficile, voire impossible, à rattraper pour certains, et cela a marqué les inégalités dans les moyens mis pour le rattrapage de ces retards. Ces inégalités ont été boostées par des décisions sanitaires inappropriées cette année.

Nous avons assisté à la réduction du nombre d’élèves par classe en choisissant la facilité, et ce en divisant une classe en deux groupes avec le même enseignant, ce qui a entraîné une division du volume horaire dans certaines matières parmi celles dites essentielles. Pour que cela soit possible, il a fallu amputer les programmes de certains cours, mais malgré cela, les programmes n’ont pu être terminés.

A l’inverse de l’école publique, l’école privée a gardé le nombre d’élèves par classe et le volume horaire inchangé, car au départ, il y avait dans chaque classe 20 élèves au maximum. La décision sanitaire fut inéquitable entre l’école publique et l’école privée. La première fut marquée par une perturbation dans les emplois du temps et dans le travail pédagogique de l’enseignant. Il était plus équitable de diviser les classes en deux et non en deux groupes, et de procéder à une opération de recrutement pour revenir à des classes de 20 élèves, offrant ainsi une égalité des chances entre une classe de l’école publique et celle du privé.

L’école publique est visée et cela n’est pas propre uniquement à l’Algérie. Cela entre dans les objectifs de la mondialisation. Nous sommes condamnés à défendre l’école publique pour l’avenir des enfants de l’Algérie de demain. 

Vous avez consacré plusieurs années de votre vie professionnelle à défendre les valeurs de l’école publique et, aujourd’hui, vous dites qu’elle vit un échec. Qu’est-ce que cela vous fait, en tant que retraité de l’enseignement, pédagogue et syndicaliste ?

J’ai consacré 32 ans de ma vie à défendre l’école publique. Je l’ai défendue en tant que pédagogue dans ma wilaya, dans le lycée où j’enseignais et qui, aujourd’hui, souffre, comme je l’avais prévu. Il suffit de suivre mes publications. Mon combat fut d’abord contre des responsables qui se sont succédé, de M. Benbouzid à Mme Benghabrit et l’actuel ministre, Abdelkrim Belabed, qui était secrétaire général à l’époque de la dernière ministre. Nous avons dénoncé le démantèlement de l’enseignement technique, l’attaque de l’école publique par des décisions non appropriées et l’encouragement de la multitude de grèves par les responsables.

Nous avons fait une marche de Béjaïa jusqu’à Boudouaou (W. Boumerdès), engagée par le CLA et feu Achour Idir, pour revendiquer le droit des contractuels et vacataires, au moins à 50 %, dans un concours interne et laisser les 50 % en externe. Nous avons fait une manifestation en 2015 à Alger avec pour slogan « Sauvons l’école publique ». Mais les responsables ont toujours fait la sourde oreille et ont ligué les parents d’élèves contre nous.

Ces responsables, avec l’appui d’une certaine presse et de certains syndicats, ont fait croire à la société que les syndicats font des grèves uniquement pour demander des augmentations de salaire, ce qui est faux. La dernière réunion qu’on a eue au ministère de l’Education démontre que les principaux responsables envoient leurs enfants dans des écoles privées ou dans des écoles étrangères. Je dis et je confirme que c’est un échec dès le début de la réforme, et ce n’est pas uniquement aujourd’hui que je le dis. Tous les syndicalistes et pédagogues le confirmeront.

Les paroles s’en vont mais les écrits restent. Nous n’avons pas uniquement critiqué mais nous avons aussi fait des propositions de sortie de crise. Aujourd’hui, même retraité, j’ai l’éducation dans le sang et mon principal combat restera de sauver l’éducation au moins par mes écrits. Cela me fait mal de voir cette faillite, mais d’un autre côté, je suis satisfait, car même retraité, je rencontre des parents d’élèves et des pédagogues qui me félicitent pour ce que j’ai publié et qu’ils ont lu.

Selon vous, quelles sont les raisons de cet échec ?

Les raisons sont multiples, j’en citerai certaines, dont la conférence de Dakar de l’UNESCO de l’an 2000, qui a dicté, dans le cadre de la mondialisation et de l’unification, 90 % des réformes, sans oublier l’arabisation des matières scientifiques à 100 % en 1987, sans aucune étude, alors que le bilinguisme existait dans ces matières. Cette décision a marqué un dysfonctionnement entre l’école, qu’elle soit publique ou privée, et l’université.

Le démantèlement de l’enseignement technique, le système d’orientation, la disparition de l’autorité pédagogique, l’ingérence des parents d’élèves dans la pédagogie, la montée de la tricherie, les cours particuliers et la corruption, le recrutement et le manque de formation des nouveaux enseignants sont autant de facteurs qui ont aggravé la situation. 

Quelles solutions pour reconstruire une école publique de qualité, qui assure l’égalité des chances de réussite ?

Pour reconstruire l’école, il faut d’abord faire appel au poste de responsabilité du bas de l’échelle au ministre, à des personnes compétentes qui croient en l’école publique et non pas à ceux qui ne cherchent que la gloire ou qui envoient leurs enfants dans des écoles privées. Cela doit s’élargir aux directeurs d’éducation et aux chefs d’établissement ainsi qu’aux enseignants.

Le système d’orientation et de passage d’un niveau à un autre doit obéir à certains critères. Il est inadmissible qu’un élève, dès la seconde, soit orienté en sciences, en mathématiques ou techniques mathématiques et soit admis au niveau supérieur sans jamais avoir eu la moyenne dans les matières essentielles.

Un 10/20 en moyenne générale ne peut permettre à un élève d’être admis s’il n’a pas de moyenne dans les matières essentielles ou de spécialité. Les programmes ne sont pas adaptés et les sujets proposés favorisent la tricherie, car ils sont basés à 99 % sur la mémorisation. Arrêter l’obstination sur les taux de réussite qui ne reflètent nullement le vrai niveau de l’éducation.

L’égalité des chances entre l’école privée et l’école publique est possible en procédant à plus de recrutements, plus de formations et en ramenant les classes à 20 élèves au maximum. Il faut remettre l’autorité pédagogique à l’enseignant, engager des étudiants en quantité suffisante ainsi que des responsables de l’encadrement des élèves comme cela se faisait auparavant pour garantir la sécurité et la discipline des élèves (pions), et ce sous contrat mensuel.

Il faut également permettre la formation des élèves dans des établissements professionnels dès la dernière année du primaire pour ceux qui ne peuvent suivre le cursus scolaire et créer un baccalauréat professionnel. Il faut réformer le baccalauréat en deux étapes et en 3 jours maximum pour chaque étape. Il faut doter l’éducation d’un statut digne et trouver des solutions pour limiter les cours particuliers

N’est-ce pas le moment pour les responsables du secteur de penser à entamer une véritable réforme de l’éducation, tant revendiquée par les syndicats du secteur ?

La réforme est imminente et les responsables ne peuvent y échapper, mais le problème c’est qu’on attend toujours que cela vienne de l’étranger ou de l’UNESCO. L’Algérie, comme les autres pays, n’est pas arrivée, à ce jour, à faire sa propre réforme. La réalité pédagogique n’est pas celle des autres pays, donc, pour qu’une réforme de l’éducation réussisse en Algérie, elle doit faire appel à 90 % des cadres, pédagogues, enseignants et retraités qui sont ou ont été sur le terrain, sinon nous tournerons en rond. Actuellement, on veut introduire à tout prix l’anglais au primaire, cela me rappelle l’arabisation. Je ne dis pas que c’est une mauvaise chose, au contraire, mais en a-t-on les moyens ? Nous avons arabisé les matières scientifiques sans moyens et nous avons pris les élèves comme cobayes. Les anciens élèves peuvent témoigner du massacre linguistique qu’ils ont dû subir et j’en fais partie.

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