Au-delà de la rue
La rue algérienne, donnée pendant longtemps pour « passive » et indifférente aux grandes questions qui engagent l’avenir du pays, a fini par surprendre par sa mobilisation.
Il est plus qu’évident qu’une longue « léthargie », comme la qualifiaient certains, laisse désormais place à un climat de revendication inscrit dans la durée, pouvant rappeler certains pays arabes pendant les fameux printemps. Bien que le mot « Hirak », choisi par la presse pour décrire le mouvement populaire, soit très évocateur, nous ne sommes pas, Dieu merci, au stade des scènes insurrectionnelles faisant jadis le plaisir des chaînes de la fitna, comme Al jazzera et consorts. Cela dit, ils sont des dizaines de milliers, toutes tendances confondues, à sortir chaque vendredi pour exprimer des revendications politiques, comme le refus d’un cinquième mandat pour le président sortant Abdelaziz Bouteflika. D’autres réclament aussi une rupture catégorique avec le système en place et ses symboles et appellent à l’édification d’une deuxième République.
Dans des moments pareils les voix se libèrent un peu plus, les passions aussi, sans parler des positionnements et autres volte-face qu’on peut même estimer inhabituels, voire contre nature ! Dans la rue, en Algérie ou ailleurs, la réflexion profonde laisse toujours place à « la simplicité et l’exagération des sentiments » selon l’expression de Gustave Lebon. Mais la rue qui mobilise en quantité n’est-elle pas alors le résultat de l’échec d’une approche qualitative sur les questions qui préoccupent un peuple et sa jeunesse ? Une jeunesse en parfaite rupture avec les idéologies « conflictuelles » du passé, une jeunesse pragmatique et « binaire » qui digère mal les équivoques et les politiques nuancées. Personne ne peut le nier, les choses n’auraient pas atteint cette situation si le débat entre les différents acteurs de la société et principalement au sein de la classe politique, pouvoir et opposition, avait permis de dégager une plate-forme consensuelle, comme celle qui a permis à l’Algérie de faire sa réconciliation, après plusieurs années de feu et de sang.
Ce n’est pas trop tard, c’est un autre défi qui nous attend pour rassembler les Algériens autour d’un projet commun pouvant apporter des réponses concrètes à la crise que vit le pays. Espérons que cela arrive, les tensions s’apaiseront, alors il va falloir faire quelque chose pour canaliser la charge émotionnelle et l’énergie de la rue pour en dégager une réflexion pérenne sur la voie d’un changement constructif. Aujourd’hui et plus que jamais il est nécessaire d’être vigilant pour ne pas reproduire les précipitations et les erreurs du passé. La rue est ce qu’elle est, utile et dangereuse, et comme son nom l’indique, une voix qui mène quelque part.