Anxiété du pouvoir ou diversion ?
Le discours du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, lu à l’occasion de la commémoration du 19 mars, n’est pas sans soulever des interrogations.
La presse et l’opposition politique ayant été particulièrement tancées tandis qu’un appel à renforcer le front intérieur contre les menaces externes semble tout aussi décalé par rapport à la réalité nationale.
Graves accusations
« Les épreuves douloureuses vécues par la ville de Ghardaïa, la poursuite des protestations à Aïn Salah contre le gaz de schiste « malgré les assurances données », les velléités de division, les attaques contre l’Etat et les menaces sur l’unité de la Nation sont autant de « préoccupations » et « inquiétudes » livrées « en toute franchise » par le président de la République », rapporte l’APS.
Cet extrait du compte-rendu relatif au discours du premier magistrat du pays en ce 19 mars suffit à renseigner sur l’état d’esprit des conseillers qui ont pu lui suggérer pareille trame politique pour son intervention publique. En effet, plusieurs membres du gouvernement, ainsi que le patron du FLN, sont montés au créneau bien avant ce discours pour vilipender « les ennemis de l’intérieur ».
Il est ainsi reproché aux protestataires de tous poils leur activisme dans cette conjoncture de troubles aux frontières. Le message étant synthétisé dans le texte lu au nom du président Abdelaziz Bouteflika et adressé aux populations du Sud : « Certains tendent à mettre en doute le dévouement et l’intégrité des dirigeants de leur Etat(…) et se sont laissé glisser sur la dangereuse pente de la politique de la terre brûlée. » Et d’ajouter que ces derniers seraient prêts à « marcher sur les cadavres des enfants de notre peuple ».
Du front intérieur
Un discours dur à l’endroit des opposants et de la presse qui les soutiendrait, avec un appel à renforcer le front intérieur : « Le président Abdelaziz Bouteflika a lancé jeudi un message fort aux populations du Sud, les exhortant au renforcement du front intérieur, à la préservation de l’unité de la Nation et à la mobilisation autour de l’Etat national, défenseur et garant des intérêts de l’ensemble des Algériens sans discrimination aucune », commentent les canaux d’informations officiels.
Pour le Président, cette mobilisation doit répondre à la menace et « Aux tensions engendrées par les événements dans la région et les contraintes imposées par une mondialisation effrénée ».
La relation de cause à effet entre les menaces externes et la protesta nationale, dans le discours du chef de l’Etat, appartient à la rhétorique classique désignant la « main étrangère » dont vient d’abuser le ministre du Commerce Amara Benyounès qui a tenu récemment, lors d’un meeting de son parti le MPA, des propos similaires.
Or, les Algériens savent pertinemment faire la différence entre une cause nationale et une fronde télécommandée de l’extérieur, et ils l’ont démontré lors de la propagation des révoltes arabes appelées Printemps révolutionnaires.
On ne voit donc pas pourquoi le pouvoir en place, qui peut encore par le dialogue éteindre les feux de la protestation (comme il vient de la faire pour la grève des enseignants), choisit de diaboliser le front social en ébullition.
Atavismes
De plus, les promesses de « fermeté », considérées comme de véritables menaces d’un autre temps par beaucoup d’internautes qui ont réagi à ce discours, rompent avec la nouvelle philosophie affichée ces derniers mois par les autorités et qui consiste à amortir les chocs de la fronde politique ou citoyenne, sans plus trop recourir à la répression brutale.
On l’a vu lors des différentes manifestations de rue, lorsque les policiers ont marché vers El Mouradia ou à In Salah, où les services de sécurité ont fait preuve d’un tact salutaire.
Que signifierait donc un retour à la fermeté face à des citoyens ou à des partis politiques qui expriment leur point de vue ou leurs revendications dans un cadre démocratique garanti par la Constitution ?
D’aucuns ont vu dans cette partie du discours quelques signes ataviques d’une gouvernance autoritaire désuète. Non, les Algériens pas plus que les autres peuples, n’ont besoin qu’on brandisse la matraque pour respecter l’ordre républicain et défendre l’intérêt supérieur du pays.
Le pouvoir en place ne peut prétendre à aucun monopole du patriotisme. Ceux des gouvernants d’aujourd’hui qui ont eu à vivre la décennie noire, parmi les Algériens sur le territoire national, savent que « l’Algérie passe avant tout ». Comme le disait un autre président de la République, dans un autre type de discours.