Ahmed Naït El-Hocine au JI : «L’homme à l’origine de 97 % des accidents de la route»
Dans un entretien accordé au Jeune Indépendant, Ahmed Nait El-Hocine, directeur de la sécurité publique, a mis l’accent sur la stratégie adoptée par le haut commandement de la Direction générale de la Sûreté nationale en matière de sécurité publique, basée sur la modernisation de ses outils de travail, et ce dans le but d’améliorer davantage les conditions de sécurité routière au niveau des zones de compétence.
Le Jeune Indépendant : Quel est le bilan de l’accidentalité routière pour l’année 2022 ?
Ahmed Naït El-Hocine : Les indicateurs de l’insécurité routière au niveau des zones urbaines, c’est-à-dire au niveau du territoire de compétence des services de police, sont demeurés stables au cours de l’année 2022, comparativement avec l’année qui l’a précédée. En effet, avec 17 186 accidents, 20 575 blessés et 709 tués, on relève un écart de seulement + 1 % pour le nombre d’accidents et de blessés mais on déplore toutefois 59 décès de plus en comparaison avec 2021.
Toutefois, il convient de souligner que la facture de la sinistralité routière demeure exorbitante car derrière les chiffres énoncés, il y a beaucoup de drames, de vies brisées et d’espoirs anéantis. Cette situation préoccupante a interpellé, au plus haut point, le haut commandement de la Direction générale de la Sûreté nationale, lequel a inscrit la lutte contre l’insécurité parmi les priorités de son plan d’action au titre de l’année 2023.
Quelle analyse faites-vous de ce bilan ?
Les chiffres sont assez éloquents pour faire état d’une situation préoccupante sur nos routes, mais ce qui retient l’attention dans ce bilan de l’accidentalité, ce sont les causes de survenance de ce sinistre qui, dans la majorité des cas, sont liées au facteur humain, plus précisément à l’inobservation des règles de la circulation routière. En effet, ce facteur humain est donné pour être à l’origine de 97,88 % des causes de survenance des accidents au niveau des zones urbaines, notamment les infractions liées à l’excès de vitesse, les refus de priorité, le défaut de maîtrise du véhicule, la traversée de la chaussée sans précautions, ce qui concourt, dans une large mesure, à la sinistralité en milieu urbain.
A partir de là, il est aisé d’affirmer que la sinistralité routière n’est pas une fatalité et qu’il est possible d’inverser la tendance en modifiant les comportements des usagers de la route qui sont la première cause des accidents, et ce à travers une éducation routière depuis le plus jeune âge, des actions de sensibilisation, de la formation et, en bout de chaîne, de la coercition pour les chauffards inconditionnels qui refusent de se conformer aux règles de la circulation
Toujours dans le cadre de l’analyse de ce bilan 2022, on relève certaines tendances lourdes, à l’exemple de la forte implication des jeunes conducteurs 18-29 ans dans les accidents de la circulation (7 431 jeunes impliqués), de la prédominance des titulaires de permis de conduire de moins de 5 ans (6 216 conducteurs impliqués), de l’implication grandissante des usagers des deux-roues (4 716 motocyclistes impliqués) et des piétons en tant qu’usagers les plus vulnérables en zones urbaines, du fait qu’au cours de l’année 2022, il a été déploré 8 350 piétons blessés et 383 tués.
Malgré les campagnes de sensibilisation, le nombre d’accidents connaît une hausse d’année en année ?
Le nombre d’accidents a connu, au cours de ces cinq dernières années, un net recul. Une situation qui a influé positivement sur les autres indicateurs que sont les blessés et les décès suite à des accidents corporels de la circulation, et ces résultats encourageants ont été obtenus grâce à la combinaison des efforts déployés par les services de sécurité mais aussi grâce au travail de prévention et de sensibilisation mené par les acteurs institutionnels et les associations activant dans ce domaine d’activité. Ces campagnes de prévention routière sont très importantes puisqu’elles permettent de modifier durablement le comportement des usagers et permettent de sensibiliser les conducteurs aux comportements à risque tels que la conduite sous l’effet de la drogue, l’usage du téléphone portable, la vitesse excessive, etc.
Quelles sont les mesures prises pour freiner l’hécatombe routière ?
Dans la nouvelle stratégie adoptée par le haut commandement de la Direction générale de la Sûreté nationale, les services de police doivent impérativement moderniser leurs outils de travail, notamment leurs équipements de surveillance et de contrôle, du fait que les performances en matière de sécurité routière sont intimement liées au niveau de développement et au niveau de modernisation.
Dans ce cadre, plusieurs projets de modernisation ont été entamés. Certains sont déjà en exploitation et d’autres seront prochainement mis en service dès que le nouveau dispositif législatif et réglementaire régissant le domaine de la circulation routière entrera en vigueur. S’agissant des projets de modernisation qui sont entrés en exploitation, on retrouve un système de la sécurité et de la prévention routière (SPSR), qui a été développé en interne par la direction des services techniques de la DGSN.
Il permet la collecte des données liées à l’accidentalité à travers les 58 wilayas et offre des tableaux de bord d’aide à la décision pour l’adaptation des dispositifs et l’analyse globale du phénomène. Les données de ce système sont recueillies en instantané. Nous avons également le lecteur automatique des plaques d’immatriculation (LAPI), qui est actuellement déployé au niveau de l’ensemble des sûretés de wilaya. Celui-ci, embarqué sur des véhicules, permet une identification des véhicules recherchés ou volés. Durant l’année 2022, ce système nous a permis d’intercepter 711 véhicules recherchés et 681 véhicules avec de fausses plaques d’immatriculation.
Y a-t-il d’autres précisions sur ces actions ?
Il est question, notamment, des radars de contrôle de la vitesse de nouvelle génération qui vont permettre à nos personnels d’exercer de nuit du fait que les statistiques d’accidents de la circulation font ressortir que les accidents liés à l’excès de vitesse se situent dans la tranche horaire comprise entre 18 h et minuit. L’exploitation de ces radars de nuit a débuté au cours de ce mois de ramadhan.
Ce mode opératoire sera maintenu par la suite, à travers une adaptation du cycle de travail des équipages radars. Par ailleurs, la DGSN a mis en place des alcootests pour le dépistage de la conduite sous l’état d’un empire alcoolique. Ce sont des équipements à usage multiple qui ont été distribués à l’ensemble des sûretés de wilaya.
Qu’en est-il du projet de vidéo-verbalisation ?
Concernant les projets finalisés qui attendent juste l’ancrage juridique pour pouvoir être mis en exploitation, il y a le projet de vidéo-verbalisation, développé en interne par la direction des services techniques. Il repose sur des technologies innovantes et sera exploité pour la verbalisation, à distance, des contrevenants aux règles de la circulation routière. Ce système va permettre de sauvegarder une séquence vidéo du véhicule et sa plaque d’immatriculation afin de constituer des preuves de l’infraction.
Le propriétaire du véhicule sera, par la suite, identifié et une contravention lui sera notifiée à l’adresse figurant sur la carte d’immatriculation. Ce projet de vidéo-verbalisation concernera certaines infractions, à savoir les contraventions liées à l’arrêt et au stationnement, les dépassements dangereux, les manœuvres dangereuses, le franchissement de la ligne continue ainsi que les excès de vitesse.
Pour l’opérationnalité de ce système, nous avons veillé à prévoir un ancrage juridique au niveau du projet de loi modifiant et complétant la loi n° 01-14 du 19/08/2001, relative à l’organisation, la sécurité et la police de la circulation routière, lequel a prévu que certaines infractions peuvent être constatées et établies à l’aide de dispositifs techniques automatisés. Une fois ce projet de loi adopté ainsi que ses textes d’application, la Sûreté nationale sera prête pour exploiter ce nouveau système.
Il faut savoir que le développement de ce système entre dans le cadre de la nouvelle vision de la DGSN, qui repose, en partie, sur des concepts de modernisation et de rationalisation étant donné que ce système nous permettra de couvrir un large territoire, et ce avec un effectif très réduit. Actuellement, nous déployons près de 8 000 fonctionnaires, à travers le territoire national, pour la mission de circulation et de sécurité routière.
Y a-t-il d’autres projets à lancer ?
Pour ce qui est de l’utilisation des moyens de l’unité aérienne de la Sûreté nationale, cette dernière a acquis des caméras de dernière génération à haute définition utilisées dans certains pays développés pour le contrôle routier et la répression des infractions au code de la route. Nous avons actuellement engagé les discussions avec l’Office de métrologie légale pour l’homologation de cet équipement, lequel apportera un gain certain en matière de dissuasion et de modification des comportements.
Enfin, un projet de création d’une page Web dédiée à l’information routière est en cours de développement au sein de la DGSN. Elle sera destinée à un large public et fournira des informations, en temps réel, sur les conditions du trafic routier, les règles de la circulation routière, la sécurité routière, les précautions à prendre pour éviter les accidents, ainsi que des conseils et des astuces pour améliorer la conduite.
La navigation sera intuitive et facile, avec des menus clairs et un accès rapide aux informations principales. Cette page sera optimisée pour les appareils mobiles, pour une utilisation facile sur les smartphones et les tablettes.