Accords d’Évian : Le dernier combat pour la libération

Le 19 mars 1962, date historique pour l’Algérie, consacre le cessez-le-feu et la fin officielle de la guerre d’indépendance. Cette victoire militaire et politique est scellée par la signature des Accords d’Évian, ultime bataille menée sur le terrain diplomatique, après plus de sept années d’un conflit sanglant. Derrière cet accord se cachent de dures négociations, des tensions stratégiques extrêmes et un bras de fer géopolitique entre une puissance coloniale déclinante et un peuple décidé à recouvrer sa souveraineté, quel qu’en soit le prix.
Dès le déclenchement de l’insurrection armée, le 1er novembre 1954, le Front de Libération Nationale (FLN) affiche une double stratégie : mener la lutte armée sur le terrain et ouvrir, à terme, la voie à une solution politique. L’objectif est clair : l’indépendance totale et sans conditions de l’Algérie.
Malgré l’intensité du conflit, le FLN, en tant que seul représentant légitime du peuple algérien, n’a jamais cessé de rechercher des solutions diplomatiques. Dès 1956, des contacts secrets sont noués entre la délégation extérieure du FLN et des émissaires français, à l’instar des premières discussions menées par Mohammed Yazid et Ahmed Francis, avec Pierre Commin, lors d’une rencontre en Yougoslavie. Mais ces premiers pourparlers sont entravés par l’intransigeance française, exigeant une reddition pure et simple de l’Armée de Libération Nationale (ALN), ce que le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) rejette catégoriquement.
La violence du conflit, l’échec des plans de pacification militaire et la pression internationale croissante finissent par forcer la France à reconnaître qu’une solution militaire est impossible. En parallèle, le poids de l’opinion publique mondiale, les mobilisations dans les pays duTiers-Monde et la reconnaissance par l’ONU, en décembre 1961, du droit inaliénable du peuple algérien à l’autodétermination, accélèrent le basculement.
C’est ainsi que, le 20 mai 1961, s’ouvrent officiellement à Évian les premières conférences de paix entre le GPRA, dirigé par Krim Belkacem, et le gouvernement français. Ce sera le début d’un ultime affrontement, non pas sur le champ de bataille, mais à la table des négociations.
Les négociations d’Évian sont rudes, parfois tendues à l’extrême. Le GPRA est ferme sur ses revendications : l’indépendance totale, l’intégrité territoriale de l’Algérie, y compris le Sahara, et la reconnaissance pleine et entière de la souveraineté nationale. La France, de son côté, tente d’imposer des conditions pour préserver ses intérêts économiques et stratégiques, en particulier sur les ressources énergétiques.
Le Sahara devient l’enjeu majeur. Après la découverte de gisements de pétrole à Hassi Messaoud et de gaz naturel à Hassi R’Mel en 1956, la France considère cette région comme vitale pour son avenir énergétique. Paris cherche à conserver le contrôle sur ces richesses, proposant même la partition du territoire. Mais le FLN oppose une fin de non-recevoir : pas de compromis sur la souveraineté nationale.
Krim Belkacem et ses compagnons tiennent bon, convaincus que céder sur le Sahara reviendrait à brader l’indépendance chèrement acquise par le sang de plus d’un million et demi de martyrs. L’enjeu est clair : il s’agit de rompre définitivement avec le colonialisme, sous toutes ses formes, y compris économique.
Pendant que les pourparlers avancent tant bien que mal à Évian, la situation sur le terrain reste explosive. L’Organisation de l’Armée Secrète (OAS), groupe terroriste d’extrême droite, multiplie les attentats en Algérie, semant la terreur pour empêcher l’application du processus de paix. Les exactions sont terribles, visant aveuglément des civils algériens, des européens favorables à l’indépendance, et même des fonctionnaires français.
Le Sahara, ligne rouge des négociateurs algériens
En métropole, la répression s’abat sur les manifestations pacifiques organisées par les Algériens. Le massacre du 17 octobre 1961, où des milliers d’Algériens sont brutalement réprimés à Paris sur ordre de Maurice Papon, témoigne de la violence d’un système colonial aux abois.
Le 18 mars 1962, après des semaines de discussions intenses et d’ultimes concessions sur la protection des minorités européennes et les intérêts économiques français post-indépendance, les Accords d’Évian sont enfin signés. Le cessez-le-feu entre en vigueur le lendemain, 19 mars 1962, mettant fin à près de huit ans de guerre.
Le référendum d’autodétermination, organisé le 1er juillet 1962, vient confirmer de manière écrasante la volonté du peuple algérien : plus de 99 % des suffrages en faveur de l’indépendance. L’Algérie proclame officiellement son indépendance le 5 juillet 1962.
Dans son message au peuple algérien, prononcé le 18 mars 1962, le président du GPRA Benyoucef Benkhedda avertit que « l’indépendance n’est pas une fin en soi, mais seulement un moyen qui permettra la transformation de la situation de notre peuple ». Il rappelle ainsi que le défi de la construction nationale, de la justice sociale et de la gestion souveraine des ressources naturelles reste immense. La signature des Accords d’Évian marque la fin d’une lutte armée, mais aussi le début d’un nouveau combat : bâtir un État libre, indépendant, au service de son peuple.
Les Accords d’Évian sont bien plus qu’un simple traité de cessez-le-feu. Ils incarnent le dernier front, celui de la diplomatie et de la politique, où l’Algérie a su imposer ses droits après des siècles de domination et des années de sacrifices. Le dernier combat pour la libération, mené dans les salons feutrés d’Évian, est une victoire historique et une leçon : aucun peuple n’est condamné à la soumission. L’Algérie l’a prouvé au monde entier, dans le sang, mais aussi dans l’honneur et la dignité.
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