«Abdelmoumene se servait des caisses sans que personne n’ose lui faire de remarques !»
Le président du tribunal de Blida, Antar Menouar, auditionnera demain dans le cadre de l’affaire Khalifa Bank l’ancien ministre des Finances, Mohamed Djellab, qui a été touché par le récent remaniement ministériel opéré par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika.
L’ex-premier responsable des finances, qui occupait le poste d’administrateur à la caisse principale de Khalifa Bank à Chéraga, sera auditionné en qualité de témoin dans ce procès. Il va expliquer aux membres du tribunal toutes les techniques financières et les anomalies qu’il a relevées dans son rapport qu’il a remis en personne au 2e jour du procès au juge en charge du dossier.
Le président du tribunal criminel de Blida a entamé jeudi les auditions des témoins clés dans l’affaire de Khalifa Bank, plus précisément ceux de la caisse principale dont le siège était à Chéraga.
Le premier témoin qui s’est présenté devant les membres du tribunal qualitativement compétent a éclairci beaucoup de zones d’ombre dans cette affaire, qui ne cesse de faire parler d’elle à travers les différents médias, notamment en ce qui concerne la manière avec laquelle Abdelmoumene Rafik Khalifa accaparait des sommes faramineuses d’argent en dinars et en euros sans que personne intervienne pour arrêter la mascarade !
Akli Youcef, l’ex-directeur général adjoint chargé de la gestion interne de la caisse principale de Chéraga – il était également poursuivi dans ce scandale et avait écopé, lors de son jugement en 2007, d’une peine de dix années de prison qu’il a entièrement purgée, s’étant désisté de son droit de se pourvoir en cassation devant la chambre criminelle de la Cour suprême – a pointé un doigt accusateur vers l’ex-patron de Khalifa Bank, précisant au juge en charge du dossier que nul ne pouvait s’opposer aux décisions qu’Abdelmoumene prenait de manière unilatérale. « Il était tout au niveau du groupe.
Tout le monde exécutait ses ordres et ses directives sans la moindre hésitation ! », a-t-il déclaré. Il a axé son intervention pendant toute la journée d’avant-hier sur les dépassements qui se produisaient, pas seulement au niveau de la caisse principale mais aussi dans les différentes agences bancaires implantées à travers le territoire national.
Le témoin, qui a maintenu ses premières déclarations faites devant l’ancienne présidente du tribunal criminel de Blida Mme Brahimi Fatiha, en 2007, a estimé que Khalifa Bank était une entité privée et que son propriétaire pouvait en disposer à sa guise.
Il a affirmé au juge que les agences envoyaient les recettes journalières à la caisse principale dont il était le directeur général adjoint et qu’il procédait alors au comptage avec les autres caissiers (une quinzaine). Les fonds étaient transportés par Amnal.
Le témoin souligne : « L’ensemble de la procédure des transferts des fonds à la caisse se faisait avec les écritures, entre sièges, qui les accompagnaient dans des sacs scellés. J’exécutais à la lettre les ordres, sans plus ! »
Le juge lui a alors demandé s’il remettait de l’argent lorsque Rafik Abdelmoumene Khalifa le lui demandait. Et Akli Youcef de répondre : « Quand il voulait de l’argent, il m’envoyait une personne et je lui envoyais la somme qu’il désirait. Je ne faisais qu’appliquer ses directives. »
A la question de savoir quels étaient les responsables et les personnes chargés de lui ramener les fonds en dinars et en euros, Akli a indiqué que « parmi les personnes qui défilaient à la caisse principale, il y avait Dellal Abdelouhab, Abdelouhab Réda (protection rapprochée de Rafik Abdelmoumen Khalifa (RAK), Mir Ahmed (inspecteur général), Salim Bouabdallah (conseiller de RAK) ».
Akli Youcef a par ailleurs précisé qu’« au début, c’était le PDG du groupe Khalifa qui se déplaçait en personne et se servait dans la caisse principale comme il le voulait. Il a envoyé ensuite Chachoua Abdelhafid, le directeur de Khalifa Protection, supposée transporter les fonds.
Ensuite Rafik Khalifa a informé Akli Youcef qu’il avait désigné des gens qui pouvaient m’appeler en son nom pour que je leur prépare l’argent. Il s’agit notamment de Krim Smail (vice-président de la banque), Chachoua et Bouabdallah.
A la question de savoir comment il justifiait les sorties des fonds, le témoin a expliqué qu’il les enregistrait dans l’extra-comptabilité. « Je les laisse en suspens. » Et d’ajouter : « Chaque fois qu’il y avait un montant qui sortait, je l’inscrivais sur un bout de papier pour pouvoir arrêter la caisse en fin de journée. »
Le président en charge du dossier lui a alors demandé qu’il avait été caissier à la BDL avant Khalifa Bank et qu’il ne pouvait agir de la sorte. Et le témoin de répondre : « Pour moi, c’était son argent. Il pouvait en disposer comme il le voulait. Moi, je ne faisais qu’exécuter les ordres et les instructions ! ».
Des ordres et instructions qui ne lui étaient pas adressés par écrit mais verbalement, et souvent par téléphone. Il a alors tenu à expliquer : « Personne n’est venu faire une visite d’inspection. Même pas les inspecteurs de la Banque d’Algérie. »
Akli Youcef dit avoir assez payé comme ça et que « c’est aux autres d’assumer leurs responsabilités ». « Tous les cadres de la banque savaient comment l’argent sortait et qu’il y avait un énorme trou financier, mais personne ne pouvait donner son avis ! ». Il a précisé que le déficit global était estimé à trois milliards de dinars, monnaie nationale et devises comprises.
En ce qui concerne les onze écritures entre sièges (EES), objet du scandale, le témoin a affirmé avoir été convoqué à la direction où se trouvait Nanouche et Chachoua Abdelhafid. C’était après l’arrestation de Guelimi et de deux cadres de la banque à l’aéroport d’Alger en possession de deux millions d’euros. Akli Youcef a déclaré que ces derniers lui avaient affirmé que Rafik Abdelmoumene Khalifa avait donné sans hésitation aucune instruction de régulariser les EES.
Obéissant aux ordres, il s’est exécuté et a fait saisir les écritures par l’un des caissiers qui les signait. Ceci lui vaudra huit ans de prison pour faux et usage de faux. Akli les a données à Nekkache pour les signer, celui-ci refusé. Antar Menouar a alors appelé RAK à la barre pour lui demander ce qu’il avait à dire à propos de la déposition d’Akli Youcef. « C’est insensé, je ne peux pas donner l’ordre de sortir de l’argent sans document. Ces EES n’ont pas été établies à la caisse principale mais dans une maison. Ce sont des faux ! », a-t-il répliqué.
Le magistrat lui a alors rappelé qu’il y avait eu un trou de trois milliards de dinars. « Encore faut-il qu’il soit confirmé par des commissaires aux comptes. Ce qui n’est pas le cas », à affirmé l’ex-golden boy.
Akli Youcef a maintenu ses propos jusqu’à la fin de son audition. Il est même allé jusqu’à confronter Aziz Djamel, ex-directeur de l’agence d’El-Harrach, lequel soutenait obstinément que l’argent qui en sortait été transféré à la caisse principale par ceux qui venaient sur instruction de Khalifa. Le caissier principal a démenti en précisant que les écritures entre sièges lui parvenaient sans les fonds.
Et ce sont donc des centaines de milliards qui sont partis en fumée. Aziz Djamel a ensuite fait semblant de ne pas se rappeler des montants ni des gens qui venaient le voir, encore moins des cadeaux qu’il offrait à ceux qui déposaient les fonds. Le magistrat a alors lancé : « Je sais que vous mentez ! Pourtant, vous êtes témoin, vous avez purgé votre peine. »
Quant au procureur, il lui a fait remarquer qu’il ne pouvait en aucun cas convaincre le tribunal de s’être enrichi en l’espace de huit mois avec seulement le salaire de 50 000 DA. Il lui a rappelé la villa de trois étages où se trouvent une clinique dentaire et une autre d’hémodialyse appartement à son épouse. Aziz Djamel a persisté dans son « amnésie ».
Il convient de signaler que les auditions des témoins se poursuivront aujourd’hui avec le passage à la barre de plusieurs autres ex-cadres et ex-fonctionnaires ayant occupé des postes clés au sein des différentes agences bancaires de Khalifa Bank, à l’instar de Soualmi Hocine, ex-directeur de l’agence de Khalifa des Abattoirs d’Hussein Dey, et représentant de ladite banque à Paris, Mir Ahmed, ancien inspecteur général de la banque dissoute, Mokadem Mohamed, ex-directeur de l’agence de Chéraga, Boukadoum Farid, ex-directeur de Khalifa TV et Menad Mustapha, ancien directeur de la Caisse nationale des assurances sociales (CNASCNAS Caisse nationale de la sécurité sociale).